samedi 2 avril 2016

Pourquoi Philon d'Alexandrie a-t-il inventé le concept de Logos de Dieu?

Philon d'Alexandrie est un philosophe juif qui fut le chef des communautés juives dans l'Empire romain. Il est né vers –20 et est mort vers 50. 
Il est l'auteur d'une œuvre abondante et en partie conservée. La majeure partie de ce qui subsiste traite principalement des mystères de la Torah auxquels il donne une explication philosophique, les autres parties se réfèrent soit à la défense des Juifs attaqués parce qu'ils refusent d'adorer les empereurs comme s'ils étaient des dieux, il écrira aussi plusieurs défenses des mystiques juifs que l'on appelle les Esséniens. 

Le judaïsme est attaqué pour une multitudes de raisons, mais la principale est leur refus de participer au culte des empereurs dieux, ils en seront exemptés, mais c'était mal vu dans la population romaine. Ils sont encore condamnés pour se reposer le samedi, refuser de manger certaines viandes, et les Romains se moquent de la circoncision. Mais, il y a ce qui est dit, et puis tout ce qui n'est pas dit. Ce que les Romains ne supportent absolument pas avec le judaïsme, ce sont les innombrables conversions qu'ils pratiquent, ainsi on estime qu'entre -50 et 50, entre 5 et 10% des habitants de l'Empires vont se convertir au judaïsme à des degrés divers. Sans qu'on puisse être certain de ces chiffres, on pense que 2 millions des habitants de l'Empire se sont convertis avec acceptation de la circoncision; et que 2 à 4 millions fréquentent les synagogues mais ne se font pas circoncire. Les païens commencent à redouter que le Temple de Jupiter Capitolin ne devienne bientôt le deuxième Temple de Adonay. 

En fait, le paganisme sous l'influence des philosophes a évolué, il est devenu monothéiste. On aurait pu croire que cette compréhension allait abolir le culte des idoles? Que nenni, les philosophes n'ayant pas envie d'être exécutés pour athéisme, fabriquèrent la doctrine des logoï. Le mot logos signifie «discours, paroles», mais aussi, quoique plus rarement, «semence». Ils identifièrent donc les dieux du paganisme aux semences de Dieu qui sont chargés de gérer en son nom les forces naturelles: ainsi Zeus reste le dieu de la foudre, et on peut lui rendre un culte, puisque le dieu-un est absent du monde. Les dieux sont comme ses fils qui organisent le monde à sa place, le Dieu-un est le père absent, le dieu inconnu, le dieu sans nom. Pour ces philosophes, dieu est séparé du monde, il est transcendant et donc absent de ce monde; car ils refusent totalement de tomber dans l'idée du panthéisme ou immanentisme qui confond Dieu avec les choses existantes. Ils admettront par contre que son pneuma pénètre toutes choses. C'est ce pneuma ou «souffle» qui a fait croire que Dieu est dans toutes choses; alors qu'il en est totalement absent. Ce pneuma sera aussi appelé «éther» ou «sympathie universelle» car par lui toutes choses sont reliées entre elles et à Dieu. 
Cette affirmation d'un dieu-un souverain ne remettait pas en question le polythéisme, parce que si dieu est un, comment comprendre l'amour qui unit deux choses, son unité ne le permettrait pas. C'est évidemment par ce biais-là que les philosophes conserveront le culte des dieux, ceux-ci ne sont plus que les personnifications des forces naturelles, les régents du monde. 
Ces philosophes en virent à accuser le Dieu de la Bible de ne pas être le vrai dieu. En effet, le dieu-un doit être immobile, or le Dieu de la Bible se déplace; le dieu-un doit être impassible, or le Dieu de la Bible se met en colère; le dieu-un ne fait rien, ce sont ses fils qui agissent pour lui, or le Dieu de la Bible dirige toutes choses. Ces philosophes en conclurent donc que le Dieu de la Bible n'était pas le dieu-un, mais une sorte de Baal ou de Zeus, jaloux de ses frères les autres dieux.

C'est Philon qui réagira par une explication philosophique: il démontrera contre les philosophes grecs que dans la Bible il y a deux dieux. Il y a le dieu-un qui est impassible, immobile, et absent des affaires du monde, et il y a le Logos qui se déplace pour le dieu-un, qui se met en colère pour Dieu et qui s'occupe à sa place des affaires du monde. Pour Philon le Logos est l'activité de Dieu; il donnera aussi de nombreux noms au Logos, il l'appellera «archange», «fils de Dieu», et même une fois «Deutéro-Dieu ou Deuxième-Dieu». Il maltraitera tant qu'il le pourra le culte des dieux du paganisme et démontrera que toutes les forces naturelles peuvent être dirigées par un seul logos, sans qu'il y ait besoin de postuler plusieurs logoï. C'est ce qu'on appelle le «bithéisme»; outre Philon dans le judaïsme, un autre philosophes juifs affirmera la nécessité du bithéisme pour comprendre la Bible, c'est le philosophe Moïse Maïmonide au Moyen-Âge. Comprendre un dieu absolu comme étant  impersonnel est plus facile que de comprendre un dieu absolu comme étant personnel. 

Cette explication peut paraître tirée par les cheveux, mais elle aura une énorme influence: d'abord, elle permettra aux communautés juives de faire face aux attaques du paganisme qui visaient à les déjudaïser, et ensuite elle amènera d'innombrables païens dans la voie du monothéisme. 

Certains diront que Logos dans la traduction grecque de la Bible, traduit le mot hébreu pour «parole» et cela est exact; mais la conceptualisation du Logos chez Philon ne dépend pas de la Bible mais de la philosophie. Pour Philon, quand la Bible dit que «Dieu dit», ce n'est pas ce qu'Il dit qui est le logos, mais le Dieu qui dit qui est le logos.

Cette théorie du logos implique de se demander dans quelle mesure Philon y a cru lui-même et, personnellement, nous croyons qu'il n'y a pas cru. Pour Philon, l'explication philosophique n'avait d'autre but que de démontrer la Bible face aux païens, autrement dit, le logos n'est qu'un mode d'explication en deux temps, pour ceux qui ne parviennent pas à comprendre que dieu n'est pas impersonnel.

Notons enfin que cette idée du dieu impersonnel rejoint le discours du bouddhisme sur le dharmakaya et dont le théisme en est en quelque sorte sa forme actuelle: Dieu existe mais nous ne le rencontrerons jamais; il a son monde et nous le nôtre.

Le Logos de l'Évangile de Jean n'est évidemment pas la parole de Dieu au sens biblique, mais bien le logos philosophique de Philon d'Alexandrie, c'est-à-dire la semence unique de Dieu.

Le christianisme a tiré les principes philosophiques de Philon bien au-delà de ce qu'il fallait et ce qui n'était qu'une explication donnée aux païens devint un dogme qui se compliqua à l'excès. En effet, quand Jésus dit que son Père lui a confié tous les pouvoirs, etc. ce n'est qu'une redite de Philon, c'est en réalité un débat entre le judaïsme fidèle au dieu-un et le judaïsme bithéiste des Grecs, et Jésus affirme simplement que les thèses de Philon d'Alexandrie sont les bonnes, Justin Martyr dira de ses contradicteurs juifs qu'ils sont «monarchianistes», parce qu'ils ramènent tout à un principe unique. 

Encore une fois, Jésus est un symbole philosophique; en effet, pour Philon le Logos représente l'activité bienfaisante de Dieu, et il montre que pour réaliser cette activité, il peut prendre d'innombrables formes. Les chrétiens limiteront les innombrables formes que peut prendre le logos a une seule forme, celle de Jésus: le christianisme est né.


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