mardi 23 février 2016

Deux ésotérismes dévoyés: le christianisme et l'islam

Le christianisme et l'islam portent une lourde responsabilité dans les problèmes du monde: les fondateurs de ces deux religions (ou plutôt leurs successeurs qui en rédigèrent les textes fondateurs, pour la première, les quatre évangiles et les neuf épîtres de Paul, et pour la seconde le Coran) ont commis de nombreuses erreurs dues à leur mauvaise compréhension des textes qu'ils lisaient.
Tant le christianisme que l'islam recèlent en leur sein d'importantes notions ésotériques. Les secrets ésotériques ne peuvent être exposés publiquement qu'avec beaucoup de nuances, parce qu'ils peuvent devenir une source de confusion pour les adeptes: la partie la plus ésotérique du christianisme consiste en la mort et en la résurrection de Jésus et celle de l'islam en la soumission à Dieu. Ces deux notions sont malheureusement érigées en dogmes profanes par les adeptes respectifs de ces deux religions. 

Les évangiles ont fusionné des textes d'origines diverses, mais pire que tout, ils ont fusionné certaines notions ésotériques de leur doctrine secrète avec la vie d'un personnage très concret, faisant croire aux chrétiens que Jésus est dieu. 
Jésus dans les évangiles nait, est baptisé, enseigne, finalement, il meurt et ressuscite. Le christianisme ne semble se préoccuper que de sa naissance, de son baptême et de sa mort car c'est par ces narrations qu'ils établissent la divinité de Jésus. Pourtant sa naissance est loin d'être claire, Matthieu et Luc se contredisent complètement et nous verrons cela une autre fois. Son baptême, comme nous le disions, est pour les chrétiens la preuve de la divinité de Jésus, en effet quand l'Esprit Saint descend sur lui, une voix céleste dit:
Tu es Mon Fils bien-aimé; en Toi je me suis complus.  (Mt. 3, 17; Mc 1, 11; et Lc 3, 22)
Cette voix céleste devait être peu habituée à lire Isaïe qu'elle cite très mal. En effet, Isaïe utilise l'hébreu °avdî qui signifie «mon serviteur», or le grec des évangiles a uios qui signifie exclusivement «fils», contre la Septante (version grecque de la Bible) qui a pais qui signifie à la fois «serviteur» et «fils». Les rédacteurs voulaient par ce procédé prouver la divinité de Jésus et n'apparaissent que comme des falsificateurs de textes. La citation exacte d'Isaïe est la suivante:
Voici mon serviteur, que je tiens par la main, mon élu, en qui mon âme se complaît; sur lui, j'ai répandu mon esprit, pour qu'il révèle aux nations ce qui est juste. (Isaïe 42, 1)
Mais, ce n'est pas tout, quand on examine les citations de ce passage chez les pères de l'Église apostolique et dans les anciens manuscrits, on constate que l'Esprit Saint a, en réalité, cité les Psaume:
Tu es mon fils, Moi, aujourd'hui je t'ai engendré (Psaume 2, 7).
À travers cette citation primitive, il ne fait guère de doute que Jésus dévient «fils de Dieu» par adoption au moment de son baptême. Comme on le voit, on est très loin d'une déification de Jésus dans les évangiles primitifs.

La résurrection après une condamnation injuste est mentionnée dans l'Écrit de Damas à propos du Maître de Justice, injustement égorgé par ces ennemis. Ce texte dit exactement:
Le sceptre, c’est le prince de toute la congrégation et quand il se lèvera, il décimera tous les fils de Seth. (Écrit de Damas, CD VII, 19–20, traduction Hamidovic.)
Comme on peut le déduire de ce texte, l'expression être relevé signifie simplement qu'une personne condamnée est innocente des accusations qui furent portées à son encontre; et que c'est elle qui jugera ses juges iniques. Le chercheur de la Torah qui est mentionné dans le même texte doit être identifié au roi Alexandre Jannée mort de mort naturelle; il n'est donc pas relevé puisqu'il n'a pas été condamné. Alexandre Jannée est l'auteur des Hôdayôth, texte dans lequel il dit à propos de ceux qui se révoltèrent contre lui et qu'il fit exécuter:
Car tous mes agresseurs tu les condamneras pour le jugement en distinguant par moi entre le juste et le méchant. (Hôdayôth, col. XV, ligne 12.)
Il s'agit de l'expression en sens contraire, ceux qui furent condamné dans le cadre de l'exercice de la vraie justice, et ceux-là ne sont pas relevés, mais condamnés dans l'autre monde à subir, probablement, de nouvelles peines.
Les chrétiens ont aussi mélangé des éléments issus du paganisme, comme par exemple ce qu'a dit Cicéron à propos de Romulus:
Après qu'il eut régné trente-sept ans, et fondé ces deux illustres appuis de la république, les auspices et le sénat, étant disparu dans une soudaine éclipse de soleil, il obtint cette gloire qu'on le crut transporté parmi les dieux, renommée que nul mortel n'a jamais pu mériter, sans l'éclat d'une vertu extraordinaire; et cette apothéose est d'autant plus admirable dans Romulus, que les autres hommes divinisés le furent à des époques peu éclairées, où la fiction était plus facile, l'ignorance poussant à la crédulité. (République, Livre II, §10.)
Cicéron était un chaud partisan du culte à rendre aux grands serviteurs de la Patrie, qui, a ses yeux, devenaient des dieux après leur mort et à qui il fallait rendre un culte et les honneurs divins.
Les chrétiens comprirent la mort de Jésus comme des païens, une apothéose avec une élévation jusqu'aux cieux, et non comme des Juifs, qui y voyaient une expression signifiant:
Il est innocent des crimes dont il fut accusé.
Ce n'est pourtant pas la seule signification de la mort de Jésus, ainsi ésotériquement, l'homme intérieur (la nature spirituelle qui réside en chaque homme) ne peut naître que si l'homme extérieur meurt (l'ego).
Il faut qu'il croisse et que je diminue
Cette phrase que l'Évangile de Jean prête à Jean exprime bien, non la relation de Jean à Jésus, mais bien la relation de l'homme extérieur à l'être spirituel intérieur; le premier doit diminuer, afin que le second puisse croître. Il y a comme un échange qui s'accomplit, ainsi que le suggère l'Évangile de Thomas:
Logion 88. (1) Jésus a dit : Les anges viendront à vous avec les prophètes et ils vous donneront ce que vous avez (2) et vous aussi, ce qui est en vos mains, donnez-le leur et dites-vous: quel jour viendront-ils prendre ce qui est à eux?
Même si le verset est obscur, il fait allusion à ce que nous avons déjà mais qui nous sera comme donné, et à ce que nous avons et auquel nous devront renoncer. Il faut mourir pour renaître disaient les alchimistes.
Cette puissance spirituelle intérieure est aussi quelque chose d'infime, comme l'exprime l'Évangile de Thomas qui dit:
Logion 20. (1) Les disciples dirent à Jésus: Dis-nous à quoi le Royaume des cieux est comparable. (2) Il leur dit: Il est comparable à un grain de moutarde. (3) Il est le plus petit parmi toutes les semences, (4) mais lorsqu’il tombe sur la terre travaillée, elle produit une grande branche et elle devient un abri pour les oiseaux du ciel.
L'homme dans les textes esséniens (Règle de la Communauté, Discours des Deux Esprits, on peut aussi se souvenir du bon et du mauvais penchant dans le judaïsme, ou le Discours des Deux voies, explicite dans la Didachè et dans l'Épître de Barnabé, et implicite dans de nombreux passages des évangiles) est écartelé entre deux Esprits: l'Esprit de Perversion et l'Esprit de Vérité entre lesquels sont partagés les hommes, ainsi que le dit la Règle de la Communauté:
Et il a disposé pour l’homme deux Esprits pour qu’il marchât en eux jusqu’au moment de Sa Visite : ce sont les souffles de vérité et de perversion. Dans une fontaine de lumière est l’origine de la Vérité, et d’une source de ténèbres est l’origine de la perversion. Dans la main du Prince des lumières est l’emprise sur tous les fils de justice: dans des voies de lumière ils marchent. Et dans la main de l’Ange des ténèbres est tout l’empire sur les fils de perversion: et dans des voies de ténèbres ils marchent. 
Quand le premier diminue (l'Esprit de perversion ou Esaü), le second (l'Esprit de vérité ou Jacob-Israël) peut se manifester en nous, peut-être même dans sa plénitude. (Notons le cas rare où le premier diminue et où le second n'émerge pas, c'est ce qu'on appelle le «péché contre l'Esprit», mais c'est une autre histoire).
Bref, quand Jésus est crucifié nous avons une sorte d'allégorie du salut: l'Esprit de perversion meurt, expire, sort de l'homme, et l'homme intérieur émerge dans sa plénitude. Le christianisme exprime bien des réalité spirituelles secrètes, mais hélas dévoyées, en la croyance à Jésus. Nous ne devons pas croire en Jésus mais faire la même chose que lui: laisser mourir l'ego, afin que la conscience spirituelle émerge... Le christianisme en ayant mélangé des concepts ésotériques à la vie d'un personnage bien réel a causé un désastre à la spiritualité dont il était porteur, faisant croire que nous devions rendre un culte à Jésus, et non réaliser la même chose que lui et comme Jésus n'est ni le premier ni le dernier à réaliser cela, puisque plusieurs de ses prédécesseurs aussi sages que lui réalisèrent cela, on peut espérer que d'autres après lui le réalisèrent aussi.

Le Coran connaît le même problème de dévoiement. En effet, les musulmans croient qu'être musulman c'est appartenir à une sorte de club composé uniquement de musulmans; ils croient qu'obéir à la loi que Dieu leur aurait donné, c'est être musulman.
Nous lisons dans le Coran de nombreux passages relatifs à la soumission, et ils disent:
[Le Jour du Jugement Dernier] les mécréants voudraient avoir été Musulmans [soumis]. (Sourate 15, 1)
Et quand Abraham et Ismaël élevaient les assises de la Maison: Ô notre Seigneur, accepte ceci de notre part ! Car c’est Toi l’Audient, l’Omniscient. Notre Seigneur ! Fais de nous Tes Soumis, et de notre descendance une communauté soumise à Toi. Et montre nous nos rites et accepte de nous le repentir. Car c’est Toi certes l’Accueillant au repentir, le Miséricordieux. [Sourate 2, 127–128.]
[Notons l'anachronisme, la Maison est certainement le Temple de Jérusalem qui fut bâti non par Abraham mais par David; à moins, que l'auteur du Coran entende les Juifs en tant que maison, mais que ferait alors Ismaël dans le passage? On pourrait encore imaginer qu'il s'agit de la Maison-dieu contemplée par Jacob, mais c'est après la mort d'Abraham et Jacob n'est pas mentionné. On peut encore supposer que d'après l'auteur du passage, il estime qu'Abraham aurait bâti la Ka'aba; ce qui est invraisemblable pour deux raisons, la Ka'aba est inspirée des tefillin que portent les Juifs sur la tête et à leur bras gauche quand ils accomplissent leurs prières, et les tefillin furent instaurés par Moïse quand il reçut la TorahNous lisons dans le Coran une longue suite d'erreurs et d'anachronismes.]
Abraham n’était ni Juif ni Chrétien. Il était entièrement soumis à Allah. [Sourate 3, 67.]
Dis: Moi, mon Seigneur m’a guidé vers un chemin droit, une religion droite, la religion d’Abraham, le soumis exclusivement à Allah et qui n’était point parmi les associateurs. Dis: En vérité, ma prière, mes actes de dévotion, ma vie et ma mort appartiennent à Allah, Seigneur de l’Univers. [Sourate 6, 161–162.]
Tu ne te venges de nous que parce que nous avons cru aux preuves de notre Seigneur, lorsqu’elles nous sont venues. Ô notre Seigneur! Déverse sur nous l’endurance et fais nous mourir entièrement soumis. [Sourate 7, 126.]
Abraham était un guide (umma) parfait. Il était soumis à Allah, voué exclusivement à Lui et il n’était point du nombre des associateurs. [Sourate 16, 120.]
Tous ces passages n'offrent aucune difficulté, dans aucun il n'est question de la religion musulmane mais bien d'un état spirituel dans lequel l'homme se soumet à Dieu.

Cette conception fut celle du judaïsme essénien, ou plutôt assidéen; un des noms de cette école fut les notzerîm ou gardien, ou nazaréens, c'est probablement par ce biais que ces enseignements arrivèrent à l'Islam. On sait en effet que de petits groupes nazaréens survécurent à Petra, ensuite, quand cette cité fut détruite par une succession de tremblements de terre, ils immigrèrent vers l'Arabie Saoudite. Les Arabes les écoutèrent mais se méprirent sur de nombreux sens à attribuer à leurs enseignements, croyant que la soumission est une religion et non un état spirituel. En effet, d'un état spirituel qu'aucun homme ne peut-être certain d'acquérir, puisque par sa volonté il ne peut qu'y tendre, il n'est pas possible de tirer des conséquences judiciaires. Ainsi, l'homme qui apostasie l'islam est mis à mort par les musulmans, une telle action est lamentable et mécréante, autant qu'elle démontre que les enseignements spirituels sont totalement oubliés par les musulmans: en effet, celui qui apostasie l'islam, apostasie la religion musulmane qui n'est qu'une opinion parmi d'autres, les hommes qui suivent leur propre volonté varient tout le temps dans leurs opinions que ce soit au sujet de la religion, du manger, des femmes ou de n'importe quoi; alors que celui qui est véritablement soumis à Dieu parce que Dieu le dirige directement, ce qui n'arrive que si sa nature primordiale s'est réveillée, ne sait plus apostasier. L'homme qui est pris par Dieu ne sait pas l'abandonner.
Ces enseignements dérivent de ceux des esséniens, et on en a retrouvé de semblables dans les textes découverts à Qumran:
Et Il délimita des périodes de cou[roux pour le peuple qui ne l’a pas connu] et Il a fixé des tes temps de faveur pour ceux qui étudient ses commandements et qui marchent dans la voie parfaite. Il ouvrit leurs yeux aux choses cachées et déboucha leurs oreilles si bien qu’ils entendirent des choses profondes et comprirent tout ce qui sera avant que cela n’arrive. [Écrit de Damas, Préface retrouvée à Qumran, lignes 29–32.]
Et maintenant, ô fils, écoutez-moi, et j’ouvrirai vos yeux pour voir et comprendre les œuvres de Dieu; pour choisir ce qu’Il veut et rejeter ce qu’Il hait; pour marcher parfaitement dans toutes ses voies et ne pas continuer dans les pensées d’un penchant coupable et (avec) des yeux luxurieux, car plusieurs se perdirent dans ceux-ci. Des héros vaillants trébuchèrent (même) à cause de ceux-ci depuis des temps anciens et jusqu’à maintenant. Quand ils eurent marchés dans l’obstination de leur cœur, les Vigilants des cieux [la chute des anges] tombèrent; ils tinrent bien dans cela car ils n’avaient pas observé les commandements de Dieu. Et leurs fils, qui (sont) aussi hauts (que) des cèdres majestueux et dont les corps (sont) comme les montagnes, tombèrent également. Toute chair qui était sur la terre sèche, elle mourut aussi, et ils furent comme s’ils n’avaient jamais été, parce qu’ils avaient fait leur (propre) volonté et n’avaient pas observé les commandements de leur Créateur, jusqu’à ce que Sa colère s’enflamme sur eux. [Écrit de Damas, CD II, lignes 14–21.]
Les fils de Jacob s’égarèrent à cause d’eux et furent punis à hauteur de leurs erreurs. Et leurs fils en Égypte marchèrent dans l’obstination de leur cœur, conspirant contre les commandements de Dieu, chacun faisant ce qui était droit à ses yeux. Et ils mangèrent le sang, alors leurs mâles furent retranchés dans le désert (quand Il) leur ordonna à Qadesh: Montez et prenez possession du pays et ils marchèrent selon leur esprit [et non selon l'Esprit de Dieu], ils n’écoutèrent pas la voix de leur Créateur et ils ne prêtèrent pas attention aux commandements de leur maître. [Écrit de Damas, CD III, lignes 4–8.]
Avec le Livre d'Hénoch qui fut retrouvé à l'époque du grand-prêtre Siméon le Juste, le judaïsme ésotérique a développé une conception dans laquelle l'homme est confronté à un choix: faire sa volonté propre ou faire la volonté de Dieu; pour accomplir la volonté de Dieu, l'homme doit commencer par obéir à la Torah, afin de limiter les obstacle à sa manifestation, et progressivement l'homme est surmonté par cette volonté, c'est alors qu'il devient soumis, non qu'il croie être soumis à Dieu, mais qu'il est réellement soumis à Dieu, ce qui n'est pas la même chose.
Al-Boukhari rapporte un hadith qui dit:
Tout enfant est né selon la nature primordiale (en étant musulman); et ses parents font de lui un juif; un chrétien ou un mage (adorateur du feu).
Ce hadith devrait, aujourd'hui, être réécrit sous cette forme:
Tout enfant est né selon la nature primordiale (nature adamique cachée); et ses parents font de lui un juif; un chrétien, un mage ou un musulman.
Parce qu'aujourd'hui, les musulmans croient qu'il suffit de consacrer quelques minutes par jours à se laver et à répéter des prières, et à obéir à quelques prescriptions légales, pour être musulman. Ils sont un peu comme un homme qui est en face d'une haute montagne et devant la difficulté à escalader cette montagne, il se motive en se visualisant à son sommet, tant et tant qu'il finit par croire qu'il est au sommet, alors qu'il n'a pas encore commencé à l'escalader.
En effet, ce n'est pas l'appartenance à la religion qui fait de l'homme un musulman, mais bien une expérience spirituelle dans laquelle l'ego meurt, et l'homme intérieur émerge; c'est de cette soumission dont il est question, pas de religion. Il ne s'agit pas pour l'homme d'obéir aux commandements, ce qui n'est qu'un préliminaire, mais bien d'être pénétré par la puissance de Dieu qui soumet entièrement l'homme.
L'Évangile de Thomas dit parfaitement à propos de ce genre de personnes:
Logion 3. (1) Jésus a dit : Si ceux qui vous guident vous disent : voici, le Royaume est dans le ciel, alors les oiseaux du ciel vous devanceront. (2) S’ils vous disent : il est dans la mer, alors les poissons vous précéderont ; (3) mais le Royaume est au dedans de vous et il est au dehors de vous. (4) Lorsque vous vous connaîtrez, vous serez connus et vous saurez que vous êtes les fils du Père qui est vivant; (5) mais si vous ne vous connaissez pas, alors vous êtes dans la pauvreté et vous êtes la pauvreté.
L'islam exotérique c'est la grande pauvreté, mais Dieu ne leur donne nulle aumône car ils se croient sauvés.
Islam et christianisme sont de parfaites illustrations de conceptions ésotériques comprises par des profanes. Le christianisme est prétendant que l'homme doit être soumis à Jésus (se convertir) et que Jésus est extérieur à nous a tout confondu: ce que les premiers chrétiens appelaient Jésus, c'est la nature primordiale d'Adam qui réside en chaque homme, à l'intérieur de chaque homme, mais elle réside en nous en tant que potentialité latente, qui doit s'éveiller afin de mener l'être humain à son accomplissement spirituel. L'islam en prenant la soumission à Dieu qui est une expérience spirituelle pour une religion a fait un autre genre de dévoiement.

— Stephan HOEBEECK





vendredi 19 février 2016

Un prince hasmonéen appelé Jésus

Introduction

La Judée n’est plus indépendante depuis la conquête babylonienne en –587. Babylonienne, puis perse, puis grecque, puis égyptienne, la Judée devient Séleucide en –198, qui dirigent un immense empire qui s’étend de Damas au Pakistan; ils seront néanmoins vaincus par Rome en –189, et seront alors astreints à un tribut qui met leurs finances à mal. En –176, un transfuge fait savoir que le Temple de Jérusalem regorge d’or: le Temple, en plus de sa fonction cultuelle, peut-être considéré comme la première banque centrale du monde, recevant les dépôts de l’ensemble des Juifs qui y placent leur argent le sachant en sécurité. Les Séleucides n’auront de cesse de tenter de s’en emparer, ils vont alors tenter d’helléniser la Judée afin de saper toute volonté de résistance et nommeront des grands-prêtres qui acceptent d’être leurs complices. Mais, dans leur impatience, ils n’arriveront qu’à faire éclater la grande révolte des Macchabées. Cette révolte sera guidée par une famille de prêtres appelés les hasmonéens. Ce sera leur patriarche Mathathias qui commencera la révolte et ensuite ses fils, plus particulièrement Judas Macchabée. Ce petit groupe sera très vite rejoint par un groupe qu’on appellera les assidéens, les pieux. Judas Macchabée libère Jérusalem et purifie le Temple en –163 et devient probablement grand-prêtre. Il mourra au combat en –157. Les Séleucides consentent à l’indépendance de la Judée en –152 et autorisent l’un des frères de Judas, Jonathan Macchabée à porter le titre de grand-prêtre et de prince des Judéens. La Judée d’alors est limitée à Jérusalem et à sa banlieue, mais elle est indépendante. Après Jonathan, succède son frère Simon Macchabée, et ensuite le fils de Simon, Jean Hyrcan. Jean Hyrcan a stabilisé la Judée en –120 et peut commencer une politique expansionniste, il conquiert l’ensemble de la Judée, de la Samarie, de la Galilée et de l’Idumée. Les Iduméens ont le choix entre se convertir ou partir, ils choisiront la conversion. Hyrcan meurt en –104, son fils Aristobule lui succède, mais ne vivra pas longtemps, c’est Alexandre Jannée qui lui succède l’année suivante. À la mort de ce dernier, le royaume de Judée comprend tout l’Israël actuel, le sud de la Syrie (l’Iturée) et 1/4 de la Jordanie. Les hasmonéens mènent une politique radicale, mais coûteuse, et finissent par faire face à des révoltes internes. En –96, la guerre civile commence, même si elle connut des phases de calme, la stabilité ne reviendra qu’avec la prise de pouvoir par Hérode en –37. Lorsque la Judée se révoltera contre Rome en 66, les vieilles rancunes entre factions empêcheront toute coordination dans la lutte contre les Romains: la Judée est ravagée, les Juifs exterminés. Les derniers hasmonéens mâles meurent peu après la prise du pouvoir d’Hérode qui les fait liquider, néanmoins les hasmonéens ont aussi eu des filles, Hérode lui-même a épousé une hasmonéenne et a eu deux fils avec elle. D’autres familles sacerdotales ont en elles le sang des hasmonéens, elles conserveront un énorme prestige parmi les Juifs. C’est dans ces familles qu’il faut chercher les véritables origines de Jésus et non dans une hypothétique lignée davidique qui était certes prestigieuse, mais ne représentait qu’un passé idéalisé. C’est un peu comme si un descendant authentique de Charlemagne ou de Clovis prétendrait relever le trône de France: il n’a pas de réseau et serait au mieux regardé comme une curiosité. Les familles qui ont du sang hasmonéen ont le prestige, mais aussi d’énormes réseaux relationnels et sont soutenues sans failles par les prêtres et les lévites qui officient au Temple, mais aussi dans l’ensemble de la Judée; ils ont enfin le soutien de très nombreux Juifs pieux: les assidéens.  

De quand datent les évangiles ?

Le seul témoignage historique qui nous soit parvenu sur Jésus est celui des évangiles dits canoniques: Matthieu, Marc, Luc et Jean. Ces quatre textes sont d’accord pour affirmer que Joseph, le père officiel de Jésus est un descendant direct du roi David.
Ce témoignage est-il crédible ? Il ne fait pas de doutes que les bases des évangiles sont anciennes, mais la version des canoniques est postérieure à 140 pour de très nombreuses raisons. Une analyse montre que les auteurs des évangiles ont connaissance d’auteurs postérieurs à 50, comme Flavius Josèphe ou Suétone, et d’autres encore. 
Par exemple, la Parabole du Mauvais riche et du pauvre Lazare en Luc 16, 19–31, semble faire allusion Hanan ben Seth et à ses cinq fils. Hanan ben Seth fut grand-prêtre en 15 et ses cinq fils occupèrent cette fonction en 17, en 35–37, en 37–39, en 42–45 et en 62. Il est difficile d’imaginer que la parabole aurait pu être rédigée que ce soit avant la mort du vieil Hanan et même avant que ses cinq fils n’occupèrent la grande prêtrise, elle donc doit dater de 62, alors qu’Hanan ben Hanan occupait la fonction de grand-prêtre et qu’il fit lapider Jacques/Bannous; le Talmud se souvient de leur famille comme étant corrompue. 
La Parabole des ouvriers de la onzième heure fait aussi allusion à des événements rapportés par Flavius Josèphe et qui se sont déroulés en 63. La Judée traversait une très dure crise économique et afin de calmer les revendications sociales et, par incidence, les risques de révolte contre Rome, Hérode Agrippa II payait les ouvriers par journée sans tenir compte du nombre d’heures qu’ils avaient réellement presté. Ceci est rapporté par Flavius Josèphe:
Il [Hérode Agrippa II] ne voulait pas épargner l’argent par crainte des Romains, mais, se préoccupant des ouvriers, voulait dépenser pour eux le trésor: en effet, si un ouvrier avait travaillé, ne fût-ce qu’une heure dans sa journée, il était immédiatement payé pour elle. [Antiquités Juives, livre XX, 219–220.]
Difficile d’imaginer que la parabole ait été rédigée avant l’événement auquel elle fait allusion; elle doit même être très postérieure.
D’autres anachronismes émaillent les évangiles: Jean le Baptiste fut exécuté aux alentours du printemps 36, donc bien après la mort de Jésus. En effet, Antipas part à Rome et rencontre à Jérusalem sa nièce Hérodiade en 33–34, la mari de cette dernière, Hérode Boéthos est mourant, il décédera peu après. Antipas revient en Judée au début ou mi-35, la fille d’Hérodiade Salomé est fiancée à Philippe d’Iturée, qui meurt assez rapidement ce qui annule le mariage; Antipas vit avec son épouse légitime qui est Phaesalys, la fille d’Aretas IV, roi de Petra et avec sa nièce Hérodiade; Phaesalys plutôt que de subir l’humiliation d’une répudiation, voire d’un assassinat, s’enfuit chez son père fin 35. Antipas épouse Hérodiade début 36. D’après les évangiles, ce mariage serait la raison de la contestation de Jean le Baptiste, ce qui semblerait étonnant. Jean est un radical, un qohen assidéen, pour lui ce n’est pas le mariage d’Antipas qui est contestable, c’est sa soumission à Rome qui est contestable: Jean s’inscrit bien plus logiquement dans une pensée apocalyptique, à la fois révolutionnaire et mystique. Bref, Jean est arrêté et exécuté, dans une période comprise entre le mariage d’Antipas (début 36), et avant la guerre d’Antipas contre Aretas IV (août-septembre 36). Antipas est vaincu et se réfugie en Judée, Tibère décide alors d’intervenir militairement contre Aretas IV, mais alors que les légions commencent à débarquer au début 37, Tibère meurt, et Caius Caligula qui lui succède décide d’interrompre la guerre et de démettre Antipas au profit d’Hérode-Agrippa Ier. La plupart des historiens chrétiens tentent d’expliquer que Flavius Josèphe aurait pu se tromper concernant la date de la mort de Jean le Baptiste qui n’est, après tout, qu’un personnage mineur de l’histoire juive de l’époque. Ceux-ci oublient quand même un peu vite que Flavius Josèphe affirme avoir été le disciple (entre 55 et 58) d’un ermite appelé Bannous dont la description qu’il donne est similaire à celle qu’il donne du Baptiste; la plupart des spécialistes sont d’accord pour reconnaître en Bannous un disciple direct de Jean, et donc, ce dernier, quoi qu’un personnage mineur, devînt connu hors de Judée, à cause du disciple de l’un de ses disciples, Flavius Josèphe lui-même, qui fut l’ami des trois empereurs flaviens: Vespasien, Titus et Domitien.
Jésus si on suit cette logique ne peut avoir été exécuté qu’à la Pâque 37, or à ce moment-là Qaïphe avait été démis, depuis 35, et remplacé par Jonathan ben Hanan, ce dernier sera lui-même démis à la Pâque 37 et remplacé par son frère Théophilos ben Hanan. Quant à Ponce Pilate, il n’a plus rien à dire depuis 35, c’est Lucius Vitellius, le légat de Syrie qui décide de tout, en 36 il le renverra même à Rome pour répondre à Tibère de sa mauvaise gestion de la Judée. Les évangiles disent bien que ce sont Qaïphe et Ponce Pilate qui jugèrent Jésus et non un ben Hanan et Lucius Vitellius qui le jugèrent, ce dernier était d’ailleurs présent à Jérusalem à la Pâque 37. 
Si on maintient l’idée que Jésus a été exécuté par Qaïphe et Ponce Pilate, mieux vaut supprimer des évangiles les passages relatifs à Jean le Baptiste, on peut aussi changer le Credo et dire qu’il fut condamné par Jonathan ben Hanan et Lucius Vitellius. 
Marcion, le premier hérétique, estimait d’ailleurs que Jean le Baptiste n’avait rien à voir avec Jésus et que Jésus n’était pas un fils de David, et là-dessus, nous sommes d’accord avec lui, nous ne le suivons pas par contre quand il affirme que Jésus est le fils du Dieu bon, apparu spontanément à l’époque de Tibère. Marcion témoigne d’ailleurs qu’en 138, à Rome, il n’existait qu’une seule copie des évangiles, qu’elle n’était pas diffusée, et qu’elle ne contenait pas les parties relatives à l’enfance de Jésus (les deux premiers chapitres de Matthieu et les trois premiers de Luc, sauf peut-être l’Annonce à Zacharie). 

Jésus et Shiméon bar Kokheba

Un passage du Discours eschatologique montre encore le caractère tardif des évangiles (Matthieu 10, 17–18, Marc 13, 9–10 et Luc 21, 12–13):
17. Mettez-vous en garde contre les hommes; car ils vous livreront à des sanhédrins, et ils vous battront de verges dans leurs synagogues; 18. vous serez menés, à cause de moi, devant des gouverneurs et devant des rois, pour servir de témoignage à eux et aux païens.
Ce passage décrit des événements assez précis, constitution de sanhédrins, donc de tribunaux et bastonnades dans des synagogues, or un tel événement est impossible dans l’histoire judéenne, sauf en 132–135, pendant la Seconde Guerre judéo-romaine. Le patriote juif qui dirigeait la révolte, Shimeon bar Kokheba, estimait que les chrétiens étaient assimilables aux Juifs et donc devaient prendre les armes contre les Romains, ce qu’ils refuseront de faire, c'est alors qu'ils seront battus voire exécutés pour ce motif. 
Les chrétiens d’avant les évangiles canoniques sont malaisés à définir: les Homélies clémentines font de Jésus le vrai prophète qui enseigne les secrets de la Torah; Hermas, l’auteur d’un texte mystique chrétien qui date de 130 (le Pasteur) ne mentionne jamais Jésus, sa mort ou sa résurrection; il y décrit une mystique angélique dans laquelle l’homme est adopté par le Fils de Dieu qui est... l’Esprit Saint; la notion de Logos lui est inconnue.
Nous venons de mentionner Shimé°on bar Kokheba, or quand il devint nassi’ (prince) de Judée, il dut justifier ses origines, et affirma descendre du roi David comme de nombreuses autres personnes de son village. Shiméon bar Kokheba et Jésus seraient donc deux descendants du roi David, des messies concurrents en quelque sorte. Ils sont néanmoins antinomiques: Jésus ne se révolte pas contre Rome, alors que bar Kokheba oui. 
Bar Kokheba signifie «Fils de l’Étoile». Dans Matthieu, c’est une étoile qui guide les mages vers le messie, Jésus; Jésus est donc le vrai messie le vrai fils de l’Étoile et est opposé au faux messie, Shiméon bar Kokheba, le faux fils de l’Étoile en quelque sorte. Jésus est donc bien un anti-bar Kokheba, plutôt que Bar Kokheba un anti-jésus. 
Il deviendrait alors assez logique d’admettre que Jésus n’aurait été institué «Fils de David» qu’à une époque très tardive, dans un but polémique contre les partisans de Bar Kokheba. L’intrusion de Jean le Baptiste dans les évangiles n’aurait alors eu d’autre raison que de concurrencer Éléazar, un prêtre ou qohen, qui fut le second de Shiméon bar Kokheba. Jean le Baptiste serait l’anti-Éléazar, et le baptême de Jean, l’anti-intronisation de Shiméon bar Kokheba comme messie. On peut conclure de tout cela que les rapports entre le Jésus de l’histoire et le Jean le Baptiste sont probables, mais certainement pas conformes à la description des évangiles.

Les symboles mystiques de Jésus

On nous dira que Jésus n’est pas réductible à Shimé°on bar Kokheba, et c’est exact, mais c’est aussi oublier que la théologie relative à Jésus en tant que fils de Dieu provient à la fois de la doctrine du Fils de l’Homme contenue dans le Livre des Paraboles (chapitres XXXVII à LXXI du Livre d’Hénoch) et à la fois de celle du Logos transmise dans les œuvres de Philon d’Alexandrie et dans les traités hermétiques: Jésus, en plus d’être l’opposé de Shiméon bar Kokheba, est comme la représentation humaine de ces deux concepts.
Mais, d’autres concepts symboliques émaillent les évangiles, par exemple, la mort de Jésus n’est pas sans rappeler la narration de la destruction du Temple. Jésus est livré par Judas le Sicaire [des révolutionnaires juifs anti-romains dont l’action se situe entre 6 et 74, c’est-à-dire depuis le recensement de 6, quand la Judée devint une préfecture romaine, à la chute de Massada en 74.], comme le Temple est pris par les sicaires au début de la grande révolte. Ponce Pilate ne veut pas exécuter Jésus, comme Titus ne veut pas détruire le Temple. L’épouse de Ponce Pilate intervient auprès de son mari, et on sait que la reine Bérénice de Judée est à cette époque la maîtresse de Titus, il est assez légitime de supposer qu’elle est intervenue sur l’oreiller pour que Titus épargne le Temple. Titus tente d’apaiser les révoltés pour qu’ils se rendent et que le Temple soit préservé des combats, comme Pilate tente de convaincre les Juifs d’épargner Jésus, mais les révoltés disent qu’ils ne songent qu’à faire du mal aux Romains, et les Juifs veulent qu’on le crucifie. À cause d’un accident lors des combats, le Temple prend feu, et Titus n’aura d’autre choix que de le laisser se consumer comme Pilate n’aura d’autre choix que laisser Jésus être exécuté. Flavius Josèphe raconte que les portes du Temple se sont mystérieusement ouvertes et que les anges qui résidaient au Temple décidèrent de le quitter à cause de la profanation du lieu saint par les mauvais Juifs, ce qui n’est pas sans rappeler le déchirement du voile du Temple lors de la mort de Jésus. Le Temple était le fondement du judaïsme, lorsqu’il fut détruit les rabbins organisèrent la liturgie synagogale autour du Temple et les chrétiens estimèrent que Jésus est le Temple rebâtit symboliquement, le Temple céleste en quelque sorte auquel il faudra se référer dorénavant. Les rabbins attentent sa reconstruction, les chrétiens préférèrent une reconstruction symbolique sous la forme d’un homme ressuscité.
Hénochisme, philonisme, mystique du Temple et lutte contre bar Kokheba permettent de comprendre de nombreux passages des évangiles. Mais toutes ces réalités symboliques une fois grattées nous montrent quand même un personnage bien réel. Bultmann se trompait quand il estimait qu’atteindre le Jésus de l’histoire, le Jésus non kérigmatique était impossible; c’est possible, il suffit simplement de supprimer les anachronismes.

Le Jésus historique & les marchands chassés du Temple

Les informations sont donc peu fiables. Voyons ce qui pourrait être exact!
Jésus fut certainement crucifié par Pilate allié à Qaïphe, donc vers 30–33, pour des motifs mal définis. Si l’origine divine de Jésus n’est pas la raison de son exécution, voyons les autres que les évangiles mentionnent: la résurrection de Lazare d’après Jean et d’avoir chassé les marchands du Temple par Marc (11, 15–19) et Luc (19, 45–48). 
La résurrection de Lazare pourrait d’ailleurs faire allusion aux marchands chassés du Temple; en effet, ce miracle est décrit comme ayant eu lieu pendant la Fête de la Dédicace (la Fête de Hanukah) qui commémore la purification du Temple faite par Judas Macchabée: le Temple avait été profané par les Séleucides qui l’avaient transformé en Temple de Zeus et de Ba’al, les sacrifices païens qui eurent lieu correspondraient à Lazare mort et en état de décomposition, et le Temple purifié par Judas Macchabée serait le Lazare ressuscité qui a retrouvé sa bonne odeur. En Jean 5, 35, nous lisons:
Jean était la lampe qui brûle et qui luit, et vous avez voulu vous réjouir une heure à sa lumière.
Mais nous pensons qu’il s’agit d’une allusion au Temple, en effet après la restauration du Temple par Judas Macchabée, il ne restera debout que 193 ans, ce n’est donc pas Jean, mais le Temple qui 
était la lampe qui brûle et qui luit
Mais le Temple n’a pas duré, il a été détruit, puisque Jésus dit encore que 
vous avez voulu vous réjouir une heure [193 ans] à sa lumière.
La résurrection de Lazare fait donc bien partie de la mystique du Temple, mais alors à quoi correspond Jésus chassant les marchands du Temple?
Cet épisode a probablement des bases historiques que nous allons tenter d’expliquer. Il convient de savoir que les monnaies à effigie étaient interdites à Jérusalem, et c’est pour cela qu’à l’extérieur de Jérusalem, sur le Mont des Oliviers et en face du Temple, se trouvait le marché ou la Hanuth. C’est là que les étrangers pouvaient faire le change de leurs monnaies avec les monnaies en usage à Jérusalem, c’est aussi là que se trouvaient les animaux qui pouvaient être sacrifiés au Temple. Si un Juif voulait fait une offrande à Dieu ou obtenir l’effacement d’un péché commis par accident, il acquérait un animal qui était alors conduit au Temple pour y être sacrifié. Les raisons pour lesquelles les animaux étaient sur le Mont des Oliviers sont assez logiques: l’endroit est tout proche du Temple et ils ont de l’herbe pour brouter à leur aise, rappelons que les animaux autorisés aux sacrifices sont des herbivores. Or Qaïphe a décidé de transférer le marché dans le Temple même: ses amis diront que les marchands volaient le Temple et que Qaïphe voulait un meilleur contrôle; ses ennemis diront qu’il voulait une commission privée sur les animaux sacrifiés. D’après le Talmud, le Sanhédrin a rappelé Qaïphe à l’ordre et il sera obligé de reculer. Certes, sans nier la puissance du Sanhédrin, il ne faut pas l’exagérer, le pouvoir n’est pas aux mains du Sanhédrin, mais du préfet de Rome Ponce Pilate, si ce dernier approuve Qaïphe le Sanhédrin ne peut pas faire grand-chose pour l’empêcher, parce que tout simplement ce que le Sanhédrin appelle « ses décisions » sont au mieux des avis que Qaïphe peut suivre ou non. Donc le Talmud, tout en confirmant qu’il y a bien eu un problème avec le marché du Temple, exagère l’importance du Sanhédrin dans sa résolution. En contrepartie, l’idée que Jésus aurait chassé seul les marchands du Temple n’est pas crédible; en effet, à la Pâque, plusieurs milliers de prêtres et de lévites sont présents au Temple, à ceux-ci s’ajoutent la Garde du Temple, plusieurs centaines d’hommes et de très nombreux légionnaires romains (probablement une cohorte donc au moins six cents hommes). 
Si la description des événements est fausse ou très résumée, ceux-ci peuvent avoir une base bien réelle; on pourrait admettre une lutte entre Qaïphe et les prêtres révoltés qui aurait duré plusieurs mois, avant qu’il ne doive reculer et accepter que le marché des changes et des animaux quitte le Temple et retourne sur le Mont des Oliviers. La question est alors pourquoi est-ce que les prêtres auraient choisi Jésus comme chef contre Qaïphe ?
Rappelons qu’on ne devient pas prêtre juif, (qohen); le sacerdoce juif est réservé aux descendants d’Aaron, mais pour eux, c’est une obligation de naissance. Seuls quelques prophètes et les Fils immédiats de David furent autorisés à officier au Temple. 
Si l’épisode central de Jésus et qui l’a mené à son exécution est réellement centré sur une quasi-insurrection du bas clergé contre Qaïphe, insurrection éventuellement commandée par Jésus, il serait assez logique de voir en lui un qohen, autrement dit un Fils d’Aaron, probablement de grande naissance. Il n’y a guère de doute qu’il y eut des qohanîm (pluriel hébreu de qohen) corrompus, mais la majorité des prêtres étaient pauvres et parfois avaient bien du mal à joindre les deux bouts comme on dit aujourd’hui. De plus l’existence d’un sacerdoce corrompu n’exclut pas l’existence d’innombrables prêtres pieux. Sans entrer dans les branches les plus extrémistes de l’essénisme, qui poussa certains qohanîm à rompre totalement avec le Temple, il est probable que leur grande majorité continuait d’y exercer le culte en même temps qu’ils se défiaient de ces grands-prêtres qui devaient leur nomination à l’occupant romain.

Un qohen appelé Jésus

Il existe au sein des évangiles quelques narrations faisant de Jésus un qohen.

En premier, la mention de Jésus qui refuse de payer la redevance au Temple (didrachme) sous prétexte que les fils de rois ne doivent pas payer le tribut, mais seulement les étrangers. Nous sommes censés comprendre que Jésus est fils de Dieu et en tant que tel ne doit pas payer le didrachme; malheureusement pour ceux qui croient cela, le Talmud témoigne qu’il existe à cette époque une polémique entre pharisiens (le parti laïc) et sadducéens (le parti sacerdotal) sur le paiement de la redevance au Temple. Les premiers prétendaient que les qohanîm devaient l’acquitter comme n’importe quel Juif, les seconds prétendaient que les qohanîm en étaient exclus, ce qui correspond à l’opinion de Jésus. C’est le premier témoignage d’un Jésus Qohen.

Le second, c’est que dans la polémique contre les pharisiens, en Matthieu 23, 5, nous lisons le passage suivant:
Ils [les pharisiens] font toutes leurs œuvres pour être regardés par les hommes: en effet, ils élargissent leurs phylactères et allongent les franges.
Les franges se disent en hébreu tzitzith, ce qui désigne à la fois les fils bleus (ou blancs) que les Juifs attachent aux quatre coins de leurs taliths, autant que des cheveux longs noués en tresses. Ce passage est difficile à comprendre, car il y a au moins deux interprétations possibles: soit Jésus appartient à une école qui exige que les tsitsith soient noués court, comme les qaraïtes le préconisent; soit Jésus leur reproche de se laisser pousser les cheveux et de les nouer en tresses. Dans le judaïsme, on ne se laisse pousser les cheveux que si on prend des vœux de nazir (moine juif), peut-être que Jésus reproche aux pharisiens de se laisser pousser les cheveux sans prendre les vœux correspondants. Mais que signifie: «Ils élargissent leurs phylactères.» Les phylactères sont des petites boîtes cubiques portées sur le front et sur le bras gauche par les Juifs quand ils font leurs prières. Néanmoins, un seul personnage dans le judaïsme portait un phylactère non cubique, mais large, c’est le grand-prêtre. Le reproche de Jésus est donc que les pharisiens tentent de s’emparer de la grande prêtrise en portant des phylactères réservés au seul grand-prêtre. Ces deux passages montrent que Jésus est un défenseur du judaïsme sacerdotal, et les reproches qu’il fait contre les pharisiens sont des reproches de caste.

L’exorcisme du démon légion est bien connu; ce démon ne veut pas quitter le corps du possédé et est finalement transféré dans un troupeau de porcs qui se jette dans le Lac de Tibériade. Il comporte de nombreuses réécritures qui l’ont mutilé: déjà le lieu, Gérase mentionné par Marc est à 50 km du Lac de Tibériade et Gadara mentionné par Matthieu à 6 km du Lac, ce qui en montre déjà l’invraisemblance. En réalité, les passages font allusion à un sacrifice d’expiation. Une personne a commis un péché, et un qohen transfère ce péché dans un animal qui est ensuite égorgé par ce même qohen. On ignore si cette pratique existait en Judée lors des exorcismes, mais c’est probable. Les narrateurs auront voulu supprimer un passage décrivant Jésus opérant un rituel de transfert propre aux qohanîm et égorgeant ensuite l’animal, qui n’était certainement pas un porc. C’est a priori un rituel que seuls des qohanîm pouvaient accomplir. Notons d’ailleurs à ce propos, que les disciples ne parviennent pas exorciser un enfant qui est alors conduit auprès de Jésus. Après avoir crié sur le démon qui s’est enfui, les disciples demandent à Jésus pourquoi ils n’ont pas pu réaliser l’exorcisme, et Jésus dit que cette sorte de démon ne quitte le possédé que par «le jeûne et la prière», alors que lui-même a crié sur le démon et l’a menacé. Par contre, le même texte dans la perspective d’un Jésus qohen prend un autre sens, les disciples de Jésus ne sont pas des Fils d’Aaron, ils n’ont donc pas le pouvoir d’opérer un transfert, suivi de l’égorgement de l’animal afin qu’il ne viennent plus importuner la personne. Néanmoins, la mention des porcs implique que le miracle pourrait provenir d'un magicien païen, voire samaritain.

Quand Jésus, en Jean 2, 17, chasse les marchands du Temple, ses disciples disent alors: 
Le zèle de ta maison me dévore. 
À nouveau, on est censé comprendre que Jésus est le fils de Dieu et qu’il protège la maison de son Père, c’est-à-dire le Temple de Dieu. Mais le passage est une citation du Psaume 69, 10. Dans ce texte, David décrit et fait l’éloge du zèle des qohanîm dans leur service au Temple; même si d'autres interprétations sont possibles.

Ces quelques passages sont les plus évidents de l’existence d’un Jésus qohen; les plus évidents, mais d’autres existent, tout en étant nettement plus cryptiques.

Les origines de Jésus d’après Matthieu et Luc

Sur les quatre évangiles, seuls les évangiles de Matthieu et de Luc abordent la naissance de Jésus. On constate que ces deux évangiles se contredisent, d’après Matthieu, Jésus serait né avant la mort d’Hérode (entre –10 et –4) alors que d’après Luc, Jésus serait né lors du recensement de la Judée en 6. Ce ne sont pas les seules contradictions, dans Matthieu, Joseph est un habitant de Bethléem qui, suite aux menaces d’Hérode, décide de fuir en Égypte et, à la mort d’Hérode, se réfugiera en Galilée, à Nazareth; alors que pour Luc, Joseph est un habitant de Nazareth qui se rend à Bethléem, parce que les Romains précisent que les gens doivent se faire recenser sur leur lieu d’origine. Et c’est là, tout le problème, le recensement ne concerne pas la Galilée et est une mesure exclusivement fiscale, il s’agit de déterminer la valeur de la Judée qui vient juste de devenir une province romaine. Autrement dit, Joseph n’a aucune raison de se rendre à Bethléem, à moins de vouloir payer des taxes à Antipas autant qu’à l’État romain. Les raisons de toutes ces fabulations sur une naissance à Bethléem, c’est que dans la tradition juive, le messie fils de David doit naître à Bethléem. Il s’agit donc d’une falsification messianique.
Notons encore que chez Matthieu, la naissance se passe très mal, et Jésus doit fuir en Égypte; alors que chez Luc, la naissance se passe très bien, Jésus est conduit au Temple.
En Luc 2, 22–24, nous lisons:
22. Et, quand les jours de leur purification furent accomplis, selon la loi de Moïse, Joseph et Marie le portèrent à Jérusalem, pour le présenter au Seigneur — 23. suivant ce qui est écrit dans la loi du Seigneur: Tout mâle premier-né sera consacré au Seigneur (Ex. 13, 2) —, 24. et pour offrir en sacrifice deux tourterelles ou deux jeunes pigeons (Lv. 12, 8), comme cela est prescrit dans la loi du Seigneur.
Belle confusion, les enfants qui appartiennent aux tribus autres que celle de Lévy ne sont pas consacrés, ils sont rachetés; ce ne sont que les qohanîm qui sont consacrés (pas absolument certain, mais vraisemblable à l'époque du Second Temple). Donc, si Jésus a été consacré, c’est qu’il est un qohen.
Rappelons encore que Jacques le Juste est considéré dans certains textes comme un grand-prêtre. Or si Jacques le Juste fut un grand-prêtre, forcément, Jésus et son père Josèph ont été des qohanîm et les origines davidiques de Jésus deviennent impossibles à soutenir. D’après Origène, Flavius Josèphe aurait dit que ce serait à cause de la mort de Jacques que Dieu aurait décidé de détruire le Temple: ce passage ne se lit pas dans les Antiquités Juives; mais, ce qu’Origène mentionne se lit quand Flavius Josèphe parle des conséquences de l’assassinat de Jonathan ben Hanan, il y aurait alors lieu de suspecter une falsification. En effet, si Jacques, le frère de Jésus, fut grand-prêtre en 54–55, Jésus ne peut avoir été qu'un qohen Fils d'Aaron et non un descendant du roi David.

Flavius Josèphe

Il est dommage que Flavius Josèphe ne décrive pas le transfert du marché dans le Temple. Néanmoins, il est curieux que le passage, s’il avait dû l’écrire, se trouverait justement là où nous trouvons le passage sur Jésus. Ce passage est un faux, cela a déjà été montré plusieurs fois, mais peut-être y avait-il bien à l’origine quelques lignes consacrées à Jésus à cet endroit et qui furent réécrites car elles mentionnaient un Jésus Qohen, alors que l’Église a décidé que Jésus n’était pas un fils d’Aaron, mais un fils de David.
Flavius Josèphe comme historien est souvent déconsidéré, il est pourtant notre seule source sur cette époque. Dans certains cas, il a menti, en noircissant tant qu’il pouvait ses ennemis personnels, mais il a aussi menti sur les esséniens qui n’ont jamais existé. Ceux des manuscrits de la Mer Morte ne sont pas des esséniens, mais des assidéens, mot qu’il n’utilise jamais. Les assidéens sont ceux qui suivirent Judas Macchabée lors de la révolte contre les Séleucides, ils appliquaient strictement la Torah, faisant crucifier les Juifs qui ne respectaient pas le sabbat; leur groupe n’a jamais disparu, il a continué d’exister jusqu’à leur extermination pendant la Première Guerre judéo-romaine de 66–70. Les assidéens ne sont pas des pharisiens, les premiers sont plutôt défenseurs du Temple, de la piété sacerdotale et opposés aux usages grecs (langue, mœurs, culture, etc.), alors que les pharisiens défendent une piété plus personnelle et un hellénisme modéré. On savait que les assidéens étaient militaristes, ce qui les apparente aux sicaires de la guerre contre Rome, on savait qu’ils interprétaient très rigoureusement la Torah, ce qui les apparente aux sadducéens, mais ce qu’on ne savait pas c’est qu’ils pratiquaient aussi une mystique basée sur le Livre d’Hénoch. Flavius Josèphe donnera trois noms différents à ces hommes: quand ils se révoltent contre Rome, ce sont des sicaires; quand ils interprètent rigoureusement la Torah, ce sont des sadducéens et quand ils ont des pratiques mystiques, ce sont des esséniens
Flavius Josèphe appartenait à cette aile dure, comme on peut le déduire de son Autobiographie qui répond aux accusations d’un certain Juste de Tibériade dont l’ouvrage est perdu. Outre qu’il accuse Flavius Josèphe d’être le responsable de la défaite contre Rome, il lui reproche aussi de ne pas avoir été un modéré, mais un sicaire, un Juif radical. Devant l’incapacité des Juifs à présenter un front uni face aux Romains, Flavius Josèphe préférera se rendre au futur empereur Vespasien et tenter de sauver ce qui pouvait encore l’être. Si on l’avait écouté, Jérusalem se serait rendue et le Temple et les habitants auraient été épargnés, mais nul n’est prophète en son pays.

La véritable généalogie de Flavius Josèphe

Flavius Josèphe a aussi menti sur ses origines: il dit qu’il est un prêtre, un qohen, de la garde de Yehôyarîv, la première des vingt-quatre classes sacerdotales. Et c’est ce qohen âgé de 27 ans et sans expérience militaire qui se verra confier le commandement de cent mille insurgés en Galilée, on pourrait presque le comparer à Steve Jobs dans son garage occupé à fabriquer les premiers ordinateurs Apple. 
Les contes de fées doivent rester des contes de fées, sa nomination est due à un réseau relationnel plus qu’à ses capacités qui ne sont certainement pas à minimiser, mais qui ne peuvent expliquer sa nomination à elle toute seule. On sait que son père s’appelait Mathathias ben Yosef et qu’il sera exécuté par les insurgés à Jérusalem, ainsi que d’autres membres de sa famille. Et très curieusement le grand-prêtre en exercice au moment de la révolte contre Rome et qui ouvrira les portes de Jérusalem aux insurgés, et qui fera reconstruire la muraille de Jérusalem, s’appelait Mathathias (comme son père donc), et surprise, dans la Guerre Juive, il en fera un fils de Boethos, et dans les Antiquités Juives, il dira qu’il s’appelle Mathathias fils de Theophile. D’après sa généalogie, son grand-père s’appelait Joseph, il ne peut donc être le fils de ce Mathathias, excepté s’il a truqué son nom. En effet, Theophile n’est pas un nom hébreu, il pourrait s’agir d’une traduction pour Yedidyah ou Yedidia’èl (Ami de Dieu), mais est-ce que c’est le nom du père de ce Mathathias, ou le nom de la maison. En effet, au sein des familles sacerdotales, il existait vingt-quatre gardes sacerdotales, et au sein de chaque garde sacerdotale, il existait des maisons; on ne peut donc exclure que ce Mathathias était fils de ??? et appartenait à la Garde sacerdotale de Yehôyarîv, maison de Théophile, et donc appelé pour cela Mathathias fils de Théophilos, non pas fils direct de Théophilos, mais fils d’un lointain ancêtre qui s’appelait Théophile ou son équivalent hébreu. Certains textes font du père de Judas Macchabée, Mathathias donc, une fois il est le Fils d’un certain Yôhanan, une autre fois le fils de Hashmonay. Il est vraisemblable qu’Hashmonay n’est pas le nom de son père, mais le nom de sa maison, celle des fils ou descendants d’Hashmonay, autrement dit les Hasmonéens.
Lorsque l’on regarde la généalogie de Flavius Josèphe qui est donnée dans son Autobiographie, on constate qu’un de ses ancêtres directs s’appelait Mathathias Aphilos («Sans amis»), probable déformation pour Mathathias Théophilos («Ami de Dieu»), il s’agit donc d’un surnom récurrent dans sa famille et donc du nom probable de sa maison sacerdotale. Flavius Josèphe est donc plus que certainement le fils du grand-prêtre en exercice, ce qu’il ne peut avouer dans ses livres. En effet, son père a probablement laissé Éléazar le Zélote massacrer des centaines de légionnaires romains qui s’étaient rendus: ils remettaient leurs armes contre un sauf-conduit. Bref de nombreux crimes qu’il aurait été difficile de faire accepter aux Romains, même avec le pardon de Vespasien. Nous ne disons pas que les Romains ne commirent pas de crimes de guerre, ils firent mille fois pires, mais ils furent les vainqueurs, et quelquefois la victoire semble donner à ceux qui l’obtiennent le droit de décider qui a commis un crime et qui en est innocent.

La généalogie de Flavius Josèphe comporte d’autres énigmes que nous allons tenter de résoudre:
  • Flavius Josèphe naquit en 38 et est fils de Mathathias
  • Mathathias naquit en 6 (10e année du règne d’Archélaos) et était fils de Joseph;
  • Joseph naquit en –67 (9e année du règne d’Alexandra) et était fils de Mathathias;
  • Mathathias naquit en –134 et était surnommé le Bossu et fils de Mathathias;
  • Mathathias était appelé « Fils d’Éphée » et était fils de Shimé°on, il avait épousé une des filles de Jonathan Macchabée, le premier grand-prêtre hasmonéens;
  • Shimé°on était surnommé « le Bègue ». Dans les Antiquités, c’est un certain Shimé°on fils de Dosithée (Antiquités, XIII, IX, §2) qui en –120 fut envoyé à Rome pour négocier au nom de Jean Hyrcan une alliance avec les Romains, peut-être, si ce n’est probablement, faut-il identifier Shimé°on le Bègue avec le Shimé°on ben Dosithée. On ne sait rien sur ce Dosithée, mais le Livre des Macchabées mentionne un Dosithée, qui fut le second de Judas Macchabée, ce qui pourrait expliquer le mariage prestigieux avec la fille du grand-prêtre Jonathan.

Cette généalogie est très amusante, ses ancêtres font des enfants quand la plupart des hommes de cette époque sont morts, Mathathias le Bossu a engendré son fils Joseph quand il avait 67 ans, et ce même Joseph a engendré son fils Mathathias (le père de Flavius Josèphe) quand il avait 73 ans. Ses ancêtres sont bossus et bègues, des défauts qui les auraient exclus du Temple. Cette généalogie est donc falsifiée volontairement ou involontairement. 
Simon le Bègue, c’est-à-dire en hébreu Shimeon ha’èlem (h'lm האלם), Flavius Josèphe écrivait en hébreu ou en araméen et faisait traduire ses ouvrages. Lorsque le traducteur aura vu h'lm, il aura pensé à ha’èlem, «le muet, le bègue», et non à ha’alam, «le fort». Les deux mots s’écrivent de la même manière, mais se prononcent différemment; en langage parlé, il n’y a aucune ambiguïté, mais en langage écrit non vocalisé rien ne permet de les différencier, encore plus dans le cas d’un surnom.
Nous avons vu que Fils d’Éphée, Aphilos, etc. dans différents manuscrits, est probablement une déformation de Theophilos.
Quant au pauvre Mathathias le Bossu, il s’appelait en hébreu, Mathithyahû hagiben. Giben signifie «Bossu» et n’a pas d’autre signification. Néanmoins, grâce à la découverte des manuscrits de la Mer Morte, on sait qu’un nun final (ן) est facilement confondu avec un resh (ר); ce Mathathias s’appelait en réalité Mathithyahû hagibor, c’est-à-dire Mathathias le Fort ou le Puissant, bien plus logique concernant sa famille.
Signalons qu’il y eut deux Mathathias Theophilos, le grand-prêtre pendant la révolte de 66–70, et le grand-prêtre à la fin du règne d’Hérode le Grand, qui est probablement le grand-père du premier. Ce dernier est devenu grand-prêtre en –6 et fut démis en –4, pour s’être opposé au roi Hérode qui voulait installer une aigle romaine sur le fronton du Temple de Jérusalem, ce qui provoquera d’innombrables émeutes, il faillit être exécuté pour ce motif, mais semble y avoir échappé de peu.
Flavius Josèphe raconte aussi que ce Mathathias eut une pollution nocturne, un rêve érotique la veille du Yôm kippour, le Jour du Grand Pardon. Cette pollution nocturne l’obligera à se faire remplacer par quelqu’un qui est dit «être de sa famille», un certain Joseph Ellemos. En effet, une pollution de ce type rend la personne impure pendant vingt-quatre heures, en fait jusqu’au coucher du soleil, et donc il ne peut exercer son mandat. Comme le problème est connu, tous les grands-prêtres ont un remplaçant qui, en cas d’impureté rituelle, prend sa fonction et le remplace. Pendant le jour du grand-pardon, donc une fois par an, le grand-prêtre en exercice entre dans le saint des saints du Temple et prononce le nom de Dieu. Cette année-là, ce sera Joseph Ellemos qui exécutera ce rituel et aura donc été grand-prêtre moins d’une journée. 
Joseph Ellemos n’est pas sans rappeler le surnom de l’ancêtre de Flavius Josèphe, Shiméon ha’alam, on peut donc supposer que ce Joseph est en réalité Joseph le Fort, même s’il peut aussi avoir été Joseph le muet. En plus, nous voyons un nouveau lien que Flavius Josèphe avait avec le grand-prêtre Mathathias Théophilos. Le Talmud connaît l’histoire et dit qu’il vécut ensuite en Galilée et exerça la justice à Sephoris, alors capitale de la Galilée, d’ailleurs étrangement jamais nommée dans les évangiles.
Voyons maintenant la datation, il manque au moins un ancêtre dans sa généalogie, plus vraisemblablement deux. Il est raisonnable de penser que les prêtres se mariaient assez tard, mais pas trop tard et que leurs épouses avaient parfois une différence d’âge avec leurs maris. Le mariage devait avoir lieu entre 25 ans et 35 ans, certainement pas plus tôt, mais certainement pas plus tard. 
On pense que Flavius Josèphe est l’aîné de Mathathias, si on suit ce qu’il nous raconte, son père avait 32 ans quand il naquit, c’est raisonnable.
On ignore si Mathathias était l’aîné de sa famille, il serait donc bon d’envisager que son père avait entre 35 et 45 ans en 6, ce qui ferait une naissance entre –40 et –30. Si son grand-père est bien Joseph Ellemos qui fut grand-prêtre un jour, on peut supposer que 25 ans c’est un peu jeune, et donc il serait raisonnable de le faire naître vers –40, voire entre –50 et –45, puisqu’il insiste sur le fait qu’il était âgé, même si nous pensons qu’il était loin d’être aussi âgé qu’il le prétend.
Le Mathathias Théophilos, si c’est bien le père de Joseph Ellemos, pourrait être né entre –80 et –70, mais peut-être serait-il bon de retenir la date de naissance que Flavius Josèphe attribue à son grand-père Joseph. Il aurait eu 60 ans au moment où il aurait été grand-prêtre, ce qui est parfaitement raisonnable.
Il y a donc au moins un, mais plus probablement deux ancêtres manquants: le Mathathias qui épousa la fille de Yônathan Macchabée et qui eut un fils né en –134, est probablement né vers –160; quant à l’arrière-grand-père de Flavius Josèphe il doit être né vers –67 et son grand-père Joseph vers –35. Il faut donc identifier le fils et le petit-fils de Mathathias. 
Si le personnage en question n’est pas nommé, c’est qu’il y a une raison bien simple: il ne peut pas être nommé. Cela ne laisse pas grand-chose comme possibilité. Il n’y a dans son œuvre que deux personnages qui ont vécu à cette époque et qui ne peuvent pas être nommés comme appartenant à sa famille. Le premier c’est Diogène et le second c’est Ézéchias de Galilée. Ce dernier fut le père de Judas le Galiléen et le fondateur des sicaires, il sera exécuté par Hérode en –47. Cette hypothèse est peu vraisemblable, tout d’abord, il aurait eu 86 ans au moment de son exécution, et il serait douteux qu’Hérode ait accepté que le fils d’un de ses ennemis exécuté puisse parvenir si haut dans la hiérarchie, ce n’est donc certainement pas Ézéchias qui fut l’aïeul de Flavius Josèphe.
Quant à Diogène, c’est un proche conseiller du roi Alexandre Jannée et c’est lui qui fut chargé de la répression antipharisienne de –90, c’est lui qui procéda à l’exécution de milliers d’entre eux, et plus particulièrement qui ordonna la crucifixion de 800 pharisiens en une seule journée. Il sera égorgé peu après la mort de Jannée, mais les pharisiens devront quand même obtenir l’accord de la reine Salomé Alexandra, ce qui suggère la grande puissance du personnage. La version syriaque du Livre des Macchabées qui s’étend jusqu’à Hérode dit que Diogène fut le chef des sadducéens, donc un qohen sans l’ombre d’un doute. Une naissance de Diogène vers –134 est possible, il aurait été un peu plus âgé que Jannée. 
Lorsqu’on trouva les manuscrits de la Mer Morte à Qumran, parmi ceux-ci on remarqua un recueil de psaumes à la fois pénitentiels et ésotériques, on les attribua au maître de Justice et on s’en servit pour dresser le portrait-robot du Maître de Justice faute de pouvoir lui donner un nom. Le Maître de Justice, mais, disons plutôt l’auteur des parties autobiographique des Hôdayôth nous apprend qu’il fut rejeté par son père, qu’il fut envoyé dans une terre étrangère, qu’il fut incarcéré, qu’il dut subir une révolte qu’il réprima durement, qu’il tomba dans un précipice et qu’il tomba malade, peut-être à cause du vin ou d’une chute, l’expression n’est pas claire. Or tous ces événements correspondent à un personnage historique dont la vie est racontée dans les œuvres de Flavius Josèphe, il s’agit du roi de Judée Alexandre Jannée (né vers –125, roi en –103, mort en –76). Ce dernier fut rejeté par son père Jean Hyrcan et envoyé en Galilée, une terre qu’il avait à peine conquise. Jannée fut emprisonné sur l’ordre de son frère le roi et grand-prêtre Aristobule Ier; à sa mort, il fut libéré par sa veuve Salomé Alexandra et passa de l’état de prisonnier à celui de roi et de grand-prêtre. Ensuite, il eut à subir une révolte des pharisiens alors qu’il officiait au Temple, révolte qu’il réprima durement. Enfin dans une bataille, il fit une chute dans un précipice alors qu’il était poursuivi et rentra difficilement à Jérusalem. Trois ans avant sa mort, il tomba malade suite à une ivresse ou une autre raison, et finalement mourut. Les similitudes sont complètes. L’Écrit de Damas fait allusion à la mise à mort des pharisiens qu’il approuve pleinement et parle de deux personnages: un roi appelé le «chercheur de la Torah», et son conseiller appelé le «Maître de Justice». Par d’autres textes découverts à Qumran, on sait enfin que le Maître de Justice a été assassiné, ce qui exclut que ce dernier soit Alexandre Jannée. Il devint donc assez clair que le roi Alexandre Jannée est bien le «chercheur de la Torah» et le Maître de Justice son conseiller, donc Diogène. Diogène n’est pas un nom hébreu, mais ce mot grec signifiant «fabriqué par Dieu», son nom hébreu pourrait avoir été °asyah (עשיה) qui a le même sens. Notons que la forme arabe de Jésus est °îsâ (עשיאל), et que si on l’écrit en caractères hébreux on obtient quasi les mêmes lettres que celle de °asyah. Le passage de l’hébreu Yehôshu°a (יהושע) à l’arabe °îsâ n’a jamais été expliqué. On sait que l’islam primitif fut influencé par les Nazaréens qui ne sont pas des chrétiens, mais des disciples d’El_Qasay dont les troupes étaient composées de convertis au judaïsme qui se révoltèrent contre Rome en 115–118 et furent massacrés pour cela; néanmoins, quelques-uns survécurent et se réfugièrent à Petra, en Jordanie, qu’ils quittèrent pour s’installer en Arabie au début du VIe siècle. En effet, Petra subit une suite de tremblements de terre qui perturbèrent l’approvisionnement en eau, la ville fut asséchée et ses habitants durent la quitter.
Les dates correspondent, il y a donc gros à parier que le nom manquant dans la généalogie de Flavius Josèphe est bien °asyah-Diogène, nom qu’il ne pouvait pas mentionner alors qu’il tentait de fédérer les différentes tendances du judaïsme afin de vivre en paix avec Rome. 
Diogène/°asyah ayant été assassiné en –76 et Mathathias Théophilos étant né en –67, il y a probablement encore un personnage dont le nom nous est inconnu, mais qui s’est peut-être appelé Mathathias, en effet le Mathathias né en –76, et non en –134 comme le prétend Flavius Josèphe, s’appelait Mathathias ben Mathathias. 

La véritable généalogie de Jésus

Jésus a deux généalogies incompatibles, l’une dans Matthieu, l’autre dans Luc. Pour expliquer les différences entre ces deux généalogies, certains disent que l’une des deux généalogies serait celle de Marie et l’autre de Joseph; d’autres disent que les différences des noms seraient dues aux lois du lévirat, l’une donnant la généalogie réelle, l’autre la généalogie de la personne morte. Le problème, c’est que les lois du lévirat sont très claires, elles ne sont applicables qu’entre frères. Si X, fils de Z meurt et que sa veuve épouse Y fils de Z, son frère donc, la généalogie sera toujours la même. Or ce n’est pas le cas, mais cela ne semble pas gêner ceux qui affirment de telles choses. Quant au lévirat entre demi-frères, ce n’est pas impossible, mais peu vraisemblable.
Nous n’examinerons pas la généalogie de Matthieu qui est symbolique, entre Zorobabel qui naquit vers –560 et Jésus qui naquit en 0, il n’y aurait eu que 14 générations, chaque père aurait eu son fils à au moins quarante ans. De plus, une descendance de Zorababel n’est rien moins qu’attestée, en effet à l’époque de Jonathan Macchabée on pensait que la descendance directe du roi David était éteinte; et la plupart des grandes familles rabbiniques qui prétendent descendre du roi David, disent en descendre par les femmes. Le Messie fils de David apparaît marginalement dans les manuscrits de Qumran, montrant qu’il n’était pas important pour eux. Les auteurs de ces manuscrits soutiennent surtout le Messie d’Aaron, donc un messie sacerdotal. Le Messie fils de David est au mieux pour eux un chef de guerre qui conquiert le monde et l’administre pour Dieu sous la direction éclairée du Messie fils d’Aaron qui est le messie le plus important. C’est un grand-prêtre qui fait connaître à l’humanité la volonté de Dieu, qui transmet les bénédictions de Dieu sur le monde et intercède pour lui.
Le généalogie de Luc contient plusieurs particularités qu’il convient de mentionner, parce qu’elles éclairent Jésus sur un jour nouveau.
D’après Luc, Jésus est 
comme on le croyait fils de Joseph, fils d’Eli, fils de Matthat, fils de Levy, fils de Melchi, fils de Yannay. 
Arrêtons-nous à ces noms. 
En premier, Melchi n’est pas un prénom biblique, c’est un prénom peut-être porté par les Iduméens ou les Nabatéens, mais pas par les Hébreux, il existe bien Melkîtzedeq, Malky’èl, Malkyah, mais pas Melchi. Ce mot est basé sur la trilittère mem lamed kaf qui signifie «roi». Ce qui est bien ennuyeux, parce que le père de ce Melchi, s’appelle Yannay, c’est-à-dire que l’on peut lire la mention comme était Yannay hamalak, le roi Alexandre Jannée. 
Le deuxième point ennuyeux, Joseph est fils d’Eli, fils de Matthat. Matthat est certainement une abréviation pour Mathathias, c’est-à-dire Mathithyahû; quant à Eli, on pense parfois que c’est Élie, mais Élie s’écrit en grec Ἠλίας et non simplement  Ἡλί; ce prénom à nouveau n’est pas attesté. Nous avons mentionné que le grand-père de Flavius Josèph s’appelait Joseph Elemos fils de Matthias, donc Yôsef ha’alam ben Mathithyahû; et il faut bien avouer que le Eli de la généalogie de Jésus n’étant pas attesté en tant que prénom, on est en droit d’essayer de trouver une solution alternative, dans laquelle Eli serait une simple faute pour Elem, juste un m en plus ou en moins. Remarquons la parenté généalogique:
Mathathias Mathathias
Joseph Eli Joseph Elem
Jésus         Mathathias
                Flavius Josèphe
Dans ce cas Flavius Josèphe serait le neveu de Jésus. Il est clair que notre argument est miniscule, ce n’est qu’un point de détail, il n’empêche que s’il y a des falsifications dans les évangiles ce n’est que sur base de points de détails que l’on peut les découvrir.
Nous avons vu que °asyah-Diogène fut prudemment exclu de la généalogie de Flavius Josèphe, nous avons aussi vu que les pharisiens durent obtenir l’autorisation de la reine pour le faire exécuter. Cela donne une idée de la puissance du personnage, mais témoigne peut-être aussi qu’il existait des liens familiaux qui unissaient Salomé Alexandre et Alexandre Jannée, avec Diogène. On pourrait imaginer qu’un des fils de Diogène aurait épousé une des filles d’Alexandre Jannée même s’il n’est pas établi qu’il en eut. Nous connaissons assez bien la descendance directe des Hasmonéens, quoique pas complètement, mais la descendance indirecte nous est inconnue. Flavius Josèphe dit que sa mère fut une hasmonéenne, nous ne le mettons pas en doute, mais de qui fut-elle la fille, nous serions bien incapable de la dire, parce que tout simplement le devenir de leurs filles est rarement mentionné. Flavius Josèphe mentionne que l’un de ses aïeuls avait épousé une fille de Jonathan Macchabée, sans cette mention, nous ne saurions même pas que ce grand-prêtre a eu une postérité. D’autant plus qu’une postérité dans les chroniques anciennes, cela veut dire un fils plutôt qu’une fille. Dans les généalogies royales, nous ignorons le nom de la mère d’Alexandre Jannée, mais aussi les noms des épouses de ses fils, l’histoire a seulement retenu le nom de son épouse parce qu’elle dirigea la Judée à sa mort. Des deux fils de Jannée, on sait juste qu’ils furent mariés et eurent une postérité, mais on ne sait rien d’autre. Enfin, ne disons pas cela, on sait le nom du père de l’épouse d’Aristobule II, qui s’appelait Absalom et qui pourrait avoir été le plus jeune frère d’Alexandre Jannée, mais aussi le ou l’un des prêtres impies des manuscrits de Qumran; c’est lui qui aurait laissé le Maître de Justice être exécuté par les pharisiens peut-être pour avoir la vie sauve, cela pourrait aussi expliquer pourquoi ceux des manuscrits de Qumran ne soutinrent pas Aristobule II contre Hyrcan II pendant la guerre civile. On sait qu’Aristobule II eut des filles, mais on ne sait rien d’elles; on sait qu’Hérode épousa la fille de Jonathan, lui-même fils d’Aristobule II, mais c’est bien une des rares dont on connaisse le nom. 
Les dates rendent possible que les liens de Diogène d’un côté et d’Alexandre Jannée et de Salomé Alexandra aient été aussi familiaux. La mention du roi Alexandre Jannée dans la généalogie de Jésus rend probable qu’il en descendait par les femmes. Enfin le fait que le grand-père de Flavius Josèphe s’appelait Joseph et que le père de Jésus s’appelait Joseph, et que ce même Joseph ait été en poste à Sephoris (à 15 km de Nazareth rappelons-le) dans la période qui suit la mort d’Hérode rend probable que les deux Joseph n’en soient qu’un. D’autant plus que le nom officiel du père de Joseph, Eli, n’existe pas et pourrait être une corruption pour Ellem, le surnom du grand-père de Flavius Josèph. Le grand-père de Jésus devient alors Mathathias, ce qui est le nom de l’arrière-grand-père de Flavius Josèphe. 
Le Jésus historique fut donc l’oncle de Flavius Josèphe.

Autres problèmes des évangiles

Lorque, nous lisons les évangiles, nous les comparons systématiquement à la tradition juive. Or ce qui nous a le plus frappé, c’est la dichotomie entre les passages dans lesquels les auteurs montrent qu’ils connaissent parfaitement le judaïsme et ceux dans lesquels ils montrent qu’ils n’y connaissent absolument rien. Le plus flagrant, c’est la mort de Jésus. Quand Jésus entre à Jérusalem, à Pâque censément, ils mentionnent une pratique spécifique à la fête des Tentes qui se déroule en septembre-octobre. Les évangiles synoptiques et celui de Jean diffèrent sur la date de sa mort. Pour Jean, Jésus fut exécuté le 14 nissan, et pour les synoptiques, Jésus fut exécuté le 15 nissan. Or, dans les deux cas, ce n’est pas possible. Jésus ne peut pas avoir été exécuté le 14 nissan, comme Jean le prétend, parce qu’à ce moment-là, Qaïphe est prisonnier du Temple et du service qu’il accomplit pour la Pâque. Il ne peut pas quitter le Temple, il n’en a matériellement pas la possibilité, il ne peut pas se rendre auprès Pilate, parce que tout simplement cette journée est consacrée entièrement à la sainteté de Dieu et qu’aucun grand-prêtre n’abandonnerait volontairement son service pour une banale affaire de prisonnier à exécuter. Notons la bourde de Jean, quand il dit qu’
Ils [Caïphe et les prêtres] n’entrèrent point eux-mêmes dans le prétoire, afin de ne pas se souiller, et de pouvoir manger la Pâque. [Jean 18, 28b.]
Non seulement, ils ne pourraient pas manger la pâque, mais ils ne pourraient pas accomplir le sacrifice... ce qui n’est pas mentionné, autrement dit Jean n’en sait rien. Quelques lignes, plus bas, on verra encore les sacrificateurs qui assistent à l’exécution de Jésus alors qu’ils sont normalement au Temple occupé à procéder au sacrifice pascal ou à chanter des cantiques. L’exécution le 15 nissan, donc le lendemain du sacrifice pascal n’est pas plus possible, parce que tout simplement, ce jour est chômé et qu’ils ne peuvent rien faire, et certainement pas livrer un Juif pour le faire exécuter par Pilate. Notons encore que Marc mentionne que Simon de Cyrène revenait des champs, et dut porter la croix de Jésus. Rien que cela montre que Marc ne sait absolument pas que Simon de Cyrène ne pouvait pas avoir été aux champs, parce que c’est un jour chômé. D’autres erreurs de détails sont facilement décelables, par exemple les évangélistes ne savent pas que le changement des jours s’opère dans le judaïsme au coucher du soleil; ils raisonnent en Grecs pour qui le passage du jour au suivant se fait au lever du soleil. Ils pensent donc que le sacrifice pascal et le repas pascal ont lieu le même jour, alors que le sacrifice se fait l’après-midi du 14 nissan, et que le repas se fait juste après le coucher du soleil du 14 nissan, et qu’on passe au 15 nissan. Ce n’est que pour des non-juifs que ce repas a lieu le même jour.
Par contre, un passage remarquablement exact sur le judaïsme c’est l’annonce à Zacharie. Son rédacteur a une excellente connaissance du rituel du Temple. Il sait que les prêtres qui officient sont tirés au sort au sein de leur classe; il sait que le prêtre à qui fut échue l’offrande de l’encens est seul dans le Temple au moment de l’offrande; il sait que la bénédiction des qohanîm se fait juste après cette offrande et que si le prêtre tarde on doit l’attendre.
Remarquons d’abord que ce qui arrive à Zacharie est curieusement un jeu de mots sur le surnom de Joseph Ellemos. En effet, doutant de l’annonce de l’ange, puisqu’il est très vieux, comme l’est son grand-père dans sa généalogie, il deviendra «muet», un peu comme si l’ange lui avait dit puisqu’on te surnomme le «fort», ha’alam, et que tu as douté, et bien on te surnommera le «muet», ha’èlem. Jeu de mots qui n’est compréhensible qu’en hébreu.
Il est donc possible que l’annonce à Zacharie soit une composition originale de Flavius Josèphe, mais à l’origine consacrée à Jésus. Ce passage sera réattribué à Zacharie quand les responsables chrétiens décidèrent de faire de Jésus un descendant du roi David plutôt qu’un descendant d’Aaron.



Jésus l’hasmonéen

La famille royale hasmonéenne s’est éteinte, du moins, les descendants directs et seules subsistaient les branches indirectes: à la fois par Hérode qui épousa une hasmonéenne et dans d’autres importantes familles sacerdotales qui épousèrent des filles des rois-grands-prêtres hasmonéens. Le prestige des descendants de Judas Macchabée restait important en Judée, il suffit de rappeler que lorsqu’Hérode Agrippa Ier vint faire une visite privée à Alexandrie, et que les Juifs apprirent sa présence, il bénéficia immédiatement de leur part d’un accueil enthousiaste.
Hérode était loin d’être irréprochable, mais il avait stabilisé la Judée qui agonisait dans la guerre civile depuis 60 ans. La révolte des pharisiens a duré de –96 à la prise du pouvoir par Hérode en –37 qui parvint à limiter la violence entre les factions. 
Si on situe la naissance de Yehôshu°a ben Yosef vers –6, on constate que c’est vers cette époque qu’Hérode a fait exécuter deux de ses fils, les deux qu’il avait eu de Maryam l’hasmonéenne, peut-être est-ce la raison de la nomination de Mathathias Théophilos, calmer les plus nationalistes en mettant un hasmonéen indirect à la tête de la grande prêtrise. Hérode apprend alors que le petit-fils du grand-prêtre qui vient de naître pourrait devenir une menace, à la fois annoncé par des prophéties, et du sang royal et sacerdotal des hasmonéens, il tentera de faire liquider la famille qui devra fuir. En plus, le grand-prêtre est en quasi-insurrection concernant l’aigle qu’Hérode veut apposer sur le fronton du Temple. Joseph Ellemos sentant que ses jours sont en danger, fuit en Égypte ou en Galilée et s’y installe. Jésus grandit là. Après qu’Archélaos ait été démis par Rome, Joseph rentre avec sa famille à Jérusalem et reprend ses fonctions au Temple. Ses enfants grandissent, Jésus est un qohen qui n’officie pas au Temple, à la fois issu d’une des plus grandes familles sacerdotales et des hasmonéens, il peut se permettre de s’opposer à Qaïphe. Qaïphe convaincra Ponce Pilate que Jésus par ses origines comme par son activité est devenu trop dangereux: il est soutenu par le Temple et par le peuple. À un moment quelconque, il le fait arrêter et exécuter sommairement vers 33–34. Mais cela provoque partout des révoltes, dont celle de Jean le Baptiste et le retour des sicaires, la paix romaine est brisée.
L’absence de traces de Jésus au Ier siècle de l’ère chrétienne n’a jamais cessé de surprendre. Pourtant, elle devient facilement compréhensible, Jésus n’a jamais eu de disciples chargés de convertir le monde. On se demande alors comment il devint connu et nous voyons au moins deux raisons qui le firent connaître.
D’abord, il y a les paroles de Jésus dans les évangiles (la mystérieuse Source Q), plutôt que de supposer que les disciples les copiaient lorsqu’il les disait, il serait infiniment plus simple d’estimer qu’il s’agirait d’un écrit composé par Jésus, une Hokmah Yehôshu°a ben Yôsef ou Sagesse de Jésus fils de Joseph, comparable à la Sagesse de Jesus fils de Sira. Cette sagesse serait bien un texte écrit, une suite de sentences assez ésotériques. Ce texte aurait été copié par des scribes et lut en place publique comme c’était le coutume à cette époque.
La seconde raison qui permit à Jésus d’être connu: c’est son neveu Flavius Josèphe qui pourrait avoir composé une brève biographie de Jésus (vers 90), probablement assez sobre, dans laquelle il présente les fêtes juives et les bases du judaïsme, et raconte les démêlés de Jésus avec Qaïphe qui mèneront à son exécution. Flavius Josèphe, craignant aussi que les Juifs ne se révoltent à nouveau, va y introduire des éléments narratifs afin de montrer que si le Temple a été détruit c’est à cause des Juifs eux-mêmes et surtout de l’impiété de certains grands-prêtres, particulièrement de ceux de la famille des ben Hanan (l’épouse de Qaïphe pourrait être une ben Hanan); les Romains sont déresponsabilisés de la destruction du Temple, à la fois parce que les responsables de la révolte sont des Juifs, et aussi parce que les Romains furent de simples exécutants de la colère de Dieu. Jésus y est présenté comme un qohen qui ne se révolte pas contre Rome et qui, malgré son sang royal, ne convoite pas le trône: Jésus partit parce qu’on voulait le faire roi, disent les évangiles. Tous ces passages, nous sommes censés les comprendre comme des allusions à ses origines davidiques mais, c’est à ses origines hasmonéennes qu’il était fait allusion. Une fois cette biographie composée, elle sera copiée et reçue avec enthousiasme, nous sommes la fin du Ier siècle. 
Mais les païens lisent des livres qu’ils ne comprennent pas: Jésus est ressuscité, pour les Juifs, cela ne veut pas dire comme pour les païens qu’il connaît une apothéose qui le déifie en le faisant résider auprès des dieux de l’Olympe, cela veut simplement dire qu’il est innocent des crimes dont il fut accusé et que Dieu le relève afin qu’il juge et condamne ses bourreaux. L'expression hébraïque Ben Elohîm se traduit littéralement par «Fils de Dieu», mais en hébreu ces deux mots n'ont pas cette signification, il s'agit plutôt d'une sorte de compliment, pour dire que l'homme juge avec justice, ou qu'il a atteint un état angélique, bref, qu'il contemple le monde angélique. Par contre, le grec υιος του θηου signifie exclusivement «fils de Dieu». Ces païens vont donc se méprendre sur ce texte; ensuite, ils vont enjoliver, réécrire, tant et tant que bientôt on va déifier Jésus. Très vite la machine s’est emballée, on ajoutera d’innombrables miracles. Ensuite, ces hommes, influencés par le philonisme et l’hénochisme vont présenter Jésus comme le Fils de l’Homme ou le Logos. De fil en aiguille, Jésus sera mutilé, pour passer du Jésus de l’histoire au Jésus de la foi.
Les origines davidiques ne sont pas aussi importantes qu’on veut le croire, David représentait un passé lointain et idéalisé. Les hasmonéens étaient bien plus centraux à cette époque. Quand rabbi Akiba décida de suivre Shiméon bar Kokheba, il fut plus impressionné par sa force que par ses origines davidiques, ce qui en dit long. L’émergence d’un néo-messianisme davidique avec Shiméon bar Kokheba est probablement aussi une conséquence du comportement du roi Hérode-Agrippa II qui a abandonné son peuple et soutenu les Romains, y compris militairement, mettant un terme à toute idée d’une rénovation hasmonéenne. S’il s’était dès le début posé en chef de la révolte, il aurait peut-être pu imposer une union des factions; mais il n’a rien fait. Son père Agrippa Ier l’aurait fait, on peut être du même sang sans être du même bois.
Les qohanîm furent les grands perdants de la Première Guerre judéo-romaine: le Temple était anéanti et leur puissance tout autant; le judaïsme devint rabbinique.
Quant au christianisme, composé majoritairement de païens convertis, il acceptera plus facilement le culte d’un homme divinisé sans pour autant pouvoir se passer du Temple, Jésus y est devenu le Temple ressuscité symboliquement. Sa mort est à l’image des souffrance du Temple bafoué par les hommes, mais qui est reconstruit spirituellement au ciel.
Le judaïsme sans le Temple est impossible; ne pouvant être rebâti physiquement, il deviendra symbolique: par les rites dans le judaïsme et par le culte de Jésus dans le christianisme. 
Jésus est la nouvelle maison de Dieu, ses souffrances sont comme autant de réminiscences des souffrances du Temple, mais comme son royaume n’est pas de ce monde, il faudra se relier au nouveau Temple céleste appelé Jésus. Le christianisme, au fond, n’est qu’un philonisme appliqué.
Pour conclure, les évangiles sont avant tout une œuvre théologique et liturgique: le Jésus historique n’y a aucune place, ce n’est pas de lui que traitent les évangiles. En fait, c’est tout le problème des évangiles, leur but n’est pas de composer une vie de Jésus, mais bien de refaire le culte du Temple. Bons lecteurs de Philon, ils savent que le Temple est l’image du Logos, le Temple est détruit, mais le Logos est toujours là; il ne sert pas plus de pleurer le Temple détruit que Jésus mort, il sont tous deux ressuscités et vivent dans les cieux.

Bruxelles, le 6 janvier 2016
— Stephan HOEBEECK

Le roi Alexandre Jannée et les parties autobiographiques des Hôdayôth

Alexandre Jannée et les manuscrits de la Mer Morte

Alexandre Jannée naquit vers –125, il est l’un des fils de Jean Hyrcan (1); à la mort de son frère Aristobule Ier (2) qui l’avait fait emprisonner, sa veuve Salomé Alexandra (3) le fera libérer. Aristobule Ier n’ayant pas eu d’enfants, il l’épouse, probablement pour se conformer aux lois du lévirat, ce qui expliquerait que l’un de ses fils s’appellera Aristobule (4). La vie d’Alexandre Jannée en tant que roi et que grand-prêtre est une longue suite de batailles, il mourra d’ailleurs vers –76 lors d’une expédition, puisque Flavius Josèphe dit:
Pendant trois années, bien que souffrant de la fièvre quarte, il ne renonça pas à ses expéditions, jusqu’au jour où, épuisé par les fatigues, il mourut, dans le territoire de Gérasa, en assiégeant la place forte de Ragaba, au-delà du Jourdain. [Antiquités, livre XIII, chapitre XV, §5.]
En politique intérieure il eut à affronter une révolte de grande ampleur menée par les pharisiens qui contestaient sa grande-prêtrise et vraisemblablement son autorité; ceux-ci s’allièrent même à Démétrios III (5), roi de Damas, afin de le renverser. Ils furent battus et Alexandre Jannée ordonna la crucifixion de 800 d’entre eux ; ceux qui survécurent, prirent la fuite et se réfugièrent à Damas, ils y restèrent cachés tout le temps de son règne. Tous ces événements sont détaillés par Flavius Josèphe, au livre XIII de ses Antiquités Juives.
La crucifixion des 800 pharisiens est connue par le Pesher Nahum et était pleinement approuvée par l’auteur de ce texte: les pharisiens sont pour lui les «chercheurs des choses flatteuses» et méritent leur sort (6). Cette absence de condamnation dans un manuscrit de Qumran a surpris et les explications pour situer ces événements à une autre époque ont été rejetées (7).
Le fragment 4q448 n’avait d’abord pas attiré l’attention des chercheurs, mais lorsque Ada Yardeni remarqua qu’il s’agissait d’une prière en faveur du roi Jonathan, c’est-à-dire Alexandre Jannée, ce fragment devint très rapidement source de controverse. On se demandait ce qu’une telle prière venait faire dans les manuscrits de la Mer Morte. Cette prière dit ceci:
Lève-toi, ô Saint, en faveur du roi Jonathan [Alexandre Jannée] et de l’ensemble de ton peuple, Israël, qui est (dispersé) par les quatre vents du ciel. Puissent-ils avoir tous la paix et celle-ci être sur votre royaume et que votre nom soit béni. [4Q448, colonne B, lignes 1–9.]
L’auteur de cette prière est un fervent admirateur d’Alexandre Jannée. 

Les Hôdayôth

Les Hôdayôth furent découverts parmi les manuscrits de la grotte 1 à Qumran; il s’agit d’hymnes qui semblent avoir plusieurs auteurs. Le premier exemplaire découvert est 1QHôdayôth, les autres exemplaires sont numérotés 1Q35, 4Q427, 4Q428, 4Q429, 4Q430, 4Q431, 4Q432 et 4Q440. Il ne s’agit pas d’exemplaires complets: le mieux conservé est 1QHôdayôth et il manque une partie non négligeable du texte, sans qu’elle ne puisse être exactement quantifiée; les autres exemplaires sont fragmentaires, voire très fragmentaires; néanmoins, certains peuvent aider à reconstituer d’éventuels passages endommagés du premier qui reste notre source principale. 
La division du texte en hymnes particuliers est l’objet de débats: ils ne comportent pas de titres ni de divisions effectives. On trouvera des hymnes laudatifs, d’autres eschatologiques, pénitentiels ou autobiographiques. Ce sont ces derniers qui ont permis de dresser le premier portrait-robot du Maître de Justice, puisqu’on a supposé que les parties autobiographiques avaient forcément été composées par ce dernier:
Au sein de son groupe, des traîtres se sont révoltés contre lui, son père même l’a rejeté, il a fait de la prison. 
Différents textes retrouvés à Qumran suggèrent qu’il a été exécuté. Fatalement, avec une fin aussi terrible, on s’est dit, un peu rapidement, que son exécution n’avait été que l’aboutissement de ses longues tribulations décrites dans les Hôdayôth

Comparaison des parties autobiographiques des Hôdayôth avec les narrations de Flavius Josèphe relatives à la vie d’Alexandre Jannée

Nous ne pensons pas que les parties autobiographiques des Hôdayôth doivent être attribuées au Maître de Justice comme on l’a pensé; mais qu’elles sont des compositions personnelles du roi Alexandre Jannée. Les narrations  présentent d’innombrables similitudes avec la vie de ce roi telle qu’elle fut racontée par Flavius Josèphe dans sa Guerre des Juifs ou dans ses Antiquités Juives. Nous allons donc citer des passages de l’œuvre de Flavius Josèphe et les comparer à ceux des Hôdayôth. Comme on pourra le constater, les convergences sont réellement frappantes et ne peuvent être dues au hasard.
Nous apprenons par Flavius Josèphe, les choses suivantes sur ce roi:
Jannée, dès sa naissance, était devenu un objet de haine pour son père, lequel jusqu’à sa mort refusa de le voir. La cause de cette haine était, dit-on la suivante: Hyrcan qui, de ses enfants, aimait surtout les deux aînés, Antigone et Aristobule, demanda à Dieu qui lui était apparu en songe lequel de ses enfants serait son successeur. Dieu lui ayant tracé les lettres du nom de Jannée, Hyrcan, affligé à l’idée qu’il serait l’héritier de tous ses biens, le fit élever en Galilée. Dieu ne l’avait cependant pas trompé. Jannée ayant pris le pouvoir après la mort d’Aristobule, fit périr l’un de ses frères qui aspirait à la royauté, et traita avec honneur l’autre, qui préférait vivre sans se mêler aux affaires [Antiquités, livre XIII, chapitre XII, §1.]
Et dans les Hodayôth, nous lisons :
Car mon père ne m’a pas connu, ma mère m’a abandonné à toi. [Colonne XVII (IX) lignes 35]
Et ailleurs, nous lisons :
Je te loue, Seigneur que tu ne m’as pas abandonné dans mon séjour parmi un peuple étranger... [Rappelons que la Galilée avait à peine été conquise par Hyrcan et n’en était qu’au début de sa judaïsation. Colonne XIII (V), lignes 5]
Et ailleurs, nous lisons encore :
Car ils me chassent de mon pays comme l’oiseau de son nid. Tous mes compagnons et mes connaissances ont été éloignés de moi. Ils m’ont considéré comme un vase de rebut... [Notons que d’autres significations de ce passage sont possibles, voir ci-dessous. Colonne XII (IV), lignes 8–9.]
L’homme qui composa ces parties des psaumes a été rejeté de son père et éloigné de sa terre natale comme le fut Alexandre Jannée.
Nous apprenons par Flavius Josèphe, les choses suivantes sur ce roi:
Après la mort de leur père [Jean Hyrcan], l’aîné, Aristobule jugea à propos de transformer de sa propre autorité le pouvoir en royauté, et le premier ceignit le diadème quatre cent quatre-vingt-un ans et trois mois après le retour du peuple, délivré de la captivité de Babylone. De ses frères, il n’aimait que son puîné Antigone, qu’il jugea digne de partager ses honneurs ; quant aux autres [Il y en avait trois d’après Flavius Josèphe, dont Alexandre Jannée], il les jeta dans les fers. Il mit aussi en prison sa mère [il est possible, même si Flavius Josèphe ne le précise pas qu’Hyrcan ait eu deux, voire trois femmes, la femme emprisonnée serait alors la mère de Jannée, les deux aînés étant les fruits d’un premier lit], qui lui disputait le pouvoir, car Hyrcan l’avait laissée maîtresse de tout ; et il poussa la cruauté jusqu’à la laisser mourir de faim dans des chaînes. [Antiquités, livre XIII, chapitre XI, §1.]
Et dans les Hodayôth, nous lisons :
Car j’ai été lié avec des cordes sans qu’il y ait possibilité de s’arracher ; avec des entraves, sans qu’elles puissent être brisées. Le mur [d’une ville fortifiée]... des barres de fer et les portes [d’airain], Ma prison est comptée avec l’abîme sans qu’il y ait... Des torrents de méchanceté entourent mon âme pour... [Colonne XIII (V), lignes 36–39]
Et dans la même colonne, nous lisons encore :
Tu as sauvé la vie du malheureux dans le séjour des lions qui aiguisent leur langue comme un glaive. Et Toi, mon Dieu, Tu m’as délivré de leurs dents de peur qu’ils ne déchirent l’âme du malheureux et du pauvre. Leur langue a été rentrée comme le glaive dans le fourreau, sans que l’âme de Ton serviteur ait été abandonnée [En langage clair, il n’a survécu que de justesse.] [Colonne XIII (V), lignes 13–15.]
L’homme qui raconte cela a été en prison comme Alexandre Jannée.
Alexandre Jannée souffrit plusieurs révoltes, qu’il réprima certes sévèrement, ainsi que Flavius Josèphe le rapporte :
Cependant Alexandre vit ses compatriotes se révolter contre lui ; le peuple se souleva pendant la fête (des Tabernacles); comme le roi était devant l’autel, sur le point de sacrifier, il fut assailli de citrons: c’est, en effet, la coutume chez les Juifs que le jour de la fête des Tabernacles chacun porte un thyrse composé de rameaux de palmiers et de citrons; c’est ce que nous avons déjà exposé ailleurs. Ils l’injurièrent, lui reprochant d’être issu de captifs, et indigne de l’honneur d’offrir les sacrifices. [Antiquités, livre XIII, chapitre XIII, §5.] 
Et dans les Hodayôth, nous lisons :
Et tous ceux qui mangent mon pain ont levé le talon contre moi, ils se sont moqués de moi avec des lèvres d’iniquité, tous les membres de ma communauté [les Juifs] et les hommes de mon alliance se sont révoltés et ont murmuré. [Colonne XIII (V), lignes 23–25.]
Ailleurs dans les Hôdayôth, nous lisons encore :
[...] les forts pour amollir mon cœur et ma vigoureuse endurance en face des coups. Mais tu donnes la réponse de la langue pour mes lèvres incirconcises et tu mes soutiens en me fortifiant les reins et en me donnant une vigoureuse endurance. Tu affermis mes pas dans le domaine de la méchanceté. Et je suis un piège pour les transgresseurs [ceux qui se révoltent], mais un remède pour tous ceux qui se convertissent du péché [ceux qui se soumettent], prudence pour les simples et appui ferme pour ceux dont le cœur est anxieux. Tu m’as placé comme un objet de mépris et de dérision pour les traîtres et un fondement de vérité et de connaissance pour tous ceux qui marchent droit. Je suis devenu cause de l’iniquité des méchants, une source de calomnies sur les lèvres des violents. Les moqueurs grincent des dents. Je suis devenu un objet de chansons pour tous les transgresseurs. Contre moi, l’assemblée des méchants s’agite. Et ils grondent comme les flots des mers quand leurs vagues sont agitées. Tu m’as placé comme un étendard pour les élus de la Justice et un interprète de la science dans les secrets merveilleux, pour éprouver les hommes de vérité et pour mettre à l’épreuve ceux qui aiment l’instruction. Mais je suis un homme de querelle pour les interprètes d’erreurs, un homme de paix pour tous les voyants de vérité. Je suis un esprit de jalousie pour tous ceux qui recherchent les séductions. Et tous les hommes de tromperies ont grondé contre moi comme le bruit du mugissement des grandes eaux. De desseins mauvais sont toutes leurs pensées. Ils ont complètement changé la doctrine de l’homme [la loi de Moïse dans son sens sadducéen ?] que tu as établie dans ma bouche et que tu m’as enseignée, l’intelligence que tu as placée dans mon cœur pour ouvrir la source à tous les intelligents. Et ils ont échangé pour des lèvres incirconcises et une langue étrangère [allusion probable à leur trahison en faveur de Démétrius III] destinée à un peuple sans intelligence pour qu’ils se perdent dans leurs erreurs. [Colonne X (II), lignes 6–19.]
Ailleurs dans les Hôdayôth, nous lisons encore :
Je te loue, Seigneur, car tu as éclairé ma face pour ton alliance et je t’ai recherché et comme une véritable aurore, à l’aube, tu t’es manifesté à moi. Et eux, ton peuple, les débiteurs de mensonge, par leurs paroles les ont trompés. [Les pharisiens ont raconté des calomnies sur Jannée]. Les interprètes de tromperie les ont égarés et ils courent à leur perte [la répression de Jannée fut terrible, il en fit exécuter des milliers], sans intelligence Car [...] dans la folie de leurs œuvres. Car ils sont devenus méprisables pour eux-mêmes. Ils ne m’estiment pas quand tu te montres puissant en moi. [Dieu a fait d’Alexandre Jannée le souverain légitime de la Judée.] Car ils me chassent de mon pays comme l’oiseau de son nid. [Ils l’empêchent de remplir son office de grand-prêtre.] Tous mes compagnons et mes connaissances ont été éloignés de moi. Ils m’ont considéré comme un vase de rebut [les pharisiens ont dit qu’il est le descendant de captives]. Et eux, interprètes de mensonges et voyants de tromperie, ont formé contre moi des pensées méchantes, en changeant ta Loi [celle des sadducéens] que tu as gravée dans mon cœur, contre des paroles de séduction [la tradition orale des pharisiens] pour ton peuple. Ils ont retenu la boisson de la science aux assoiffés, et dans leur soif leur ont fait boire du vinaigre afin de contempler leur égarement pour qu’ils agissent en insensés dans leurs fêtes [les pharisiens ont poussé le peuple pendant une fête de bénédiction pour ce même peuple], afin d’être pris dans leurs filets. [Colonne XII (IV), lignes 5–12.]
Et aussi ceci:
Et moi je suis devenu comme sillonné de fleuves dévastateurs, car ils ont jeté sur moi leur boue. [Colonne XVI (VIII), lignes 14–15.]
Et dans les Hôdayôth, nous lisons:
Tu as établi sur le rocher ma maison et des bases éternelles pour ma communauté. Tous mes murs sont devenus une muraille éprouvée qui ne sera pas ébranlée. Mais Toi, mon Dieu, tu l’as placée pour être un conseil de sainteté pour ceux qui sont abattus et m’as fortifié dans ton Alliance. Ma langue est comme celle de Tes disciples : pas de bouche pour l’esprit de destruction, pas de réponse de la langue pour tous les fils d’iniquité. Car elles sont muettes les lèvres du mensonge. Car tous mes agresseurs tu les condamneras pour le jugement en distinguant par moi entre le juste et le méchant. [Les impies seront condamnés dans ce monde et dans l’autre, après avoir été punis dans celui-ci, cela continuera dans l’autre monde.] [Colonne XV (VII), lignes 8–12.]
Le début du passage contient une réminiscence des protections qu’Alexandre Jannée dut prendre suite à la contestation qu’il subit et après avoir massacré de nombreux insurgés:
il entoura l’autel et le sanctuaire jusqu’au chaperon d’une barrière de bois que les prêtres seuls avaient le droit de franchir, et il empêcha ainsi l’accès du peuple jusqu’à lui. [Antiquités, livre XIII, chapitre XIII, §5.]
Dans le passage suivant, l’auteur justifie l’extermination des impies comme un signe de Dieu, ce qui peut se comprendre comme une justification de son action:
Mais tu as créé les impies pour le moment de ta colère et, dès le sein, tu les as mis à part pour le jour du massacre. Car ils ont marché dans la voie qui n’est pas bonne et ils ont méprisé ton Alliance et leur âme a eu en abomination tes décrets. Et ils ne se sont pas complu en tout ce que tu as ordonné, et ils ont choisi ce que tu as haï. Tous ceux qui méprisent ta Loi, tu les as établis pour exécuter contre eux des jugements grandioses aux yeux de toutes tes créatures et pour qu’ils soient un signe et un prodige pour les temps éternels, pour que tous connaissent ta gloire et ta grande puissance. [Colonne VII (XV), lignes 17–21.]
Flavius Josèphe dit:
Il pria alors ses compatriotes de mettre un terme à leur malveillance à son égard; mais leur haine, au contraire, n’avait fait que croître à la suite de tout ce qui s’était passé; comme il leur demandait ce qu’ils voulaient, ils répondirent d’une seule voix: «Ta mort» et envoyèrent des députés à Démétrius l’Intempestif pour solliciter son alliance. [Antiquités, livre XIII, chapitre XIII, §5.]
Et dans les Hodayôth, nous lisons:
Je te loue, Seigneur, car tu m’as placé dans l’écrin de vie ; tu m’as protégé de tous les pièges de la fosse, car des violents ont recherché ma vie lorsque je m’appuyais sur ton alliance. Mais, eux sont une assemblée de vanité, une congrégation méchante. Ils ne savent pas que de Toi, je tiens ma position [que je suis roi de Judée & grand-prêtre du Temple], et que, dans Ton amour, Tu veux sauver ma vie. Car c’est de Ta part qu’ils se sont attaqués à ma vie, pour que Tu montres Ta gloire par le jugement des impies, et que Tu exerces Ta puissance en moi devant les fils d’homme [la crucifixion des pharisiens]. C’est par Ton amour que je me maintiens. [Colonne X (II), lignes 20–25.]
Flavius Josèphe raconte encore qu’il est arrivé à Alexandre Jannée, les choses suivantes:
Mais ayant engagé le combat contre Obédas, roi des Arabes, il tomba dans une embuscade, en un lieu escarpé et d’accès difficile ; précipité par un encombrement de chameaux dans un ravin profond, près de Garada, bourg de la Gaulanitide, il s’en tira à grand’peine, et s’enfuit de là à Jérusalem. [Antiquités, livre XIII, chapitre XIII, §5.]
Et dans les Hodayôth, nous lisons:
Ils m’ont atteint dans d’étroits défilés, sans qu’il y ait de refuge. Et il n’y avait pas, quand ils me poursuivaient, de lieux de repos. [Colonne XIII (V), ligne 29.]
Flavius Josèphe décrit la fin de la vie du roi Alexandre Jannée de la manière suivante:
Enfin il revint en Judée, après une campagne de trois ans. Le peuple l’accueillit avec joie à cause de ses victoires; mais la fin de ses guerres fut le commencement de sa maladie. Tourmenté par la fièvre quarte, on crut qu’il vaincrait le mal en reprenant le soin des affaires. C’est ainsi que, se livrant à d’inopportunes chevauchées, contraignant son corps à des efforts qui dépassaient ses forces, il hâta son dernier jour. Il mourut dans l’agitation et le tumulte des camps, après un règne de vingt-sept ans. [Guerre, livre I, chapitre IV, §8.]
Dans le passage parallèle que proposent les Antiquités, nous lisons:
Après tous ses succès, le roi Alexandre tomba malade des suites d’une ivresse. Pendant trois années, bien que souffrant de la fièvre quarte, il ne renonça pas à ses expéditions, jusqu’au jour où, épuisé par les fatigues, il mourut, dans le territoire de Gérasa, en assiégeant la place forte de Ragaba, au-delà du Jourdain. [Antiquités, livre XIII, chapitre XV, §5.]
Et dans les Hôdayôth, nous lisons:
Mon séjour est avec les malades et mon cœur est frappé par la maladie; je suis comme un homme abandonné dans le chagrin, je n’ai plus de force en moi; car mon châtiment a germé en amertume et dans une douleur incurable sans que je garde de force... Le tumulte est sur moi comme ceux qui descendent au shéol, et aux morts, mon esprit se cache, car ma vie a atteint la fosse. Mon âme a défailli nuit et jour sans repos et il germe comme un feu brûlant retenu dans mes os [fièvre quarte?]. Sa flamme dévorait sans cesse afin d’anéantir ma force pour toujours et d’exterminer la chair pour longtemps. Les flots ont volé contre moi. Et mon âme en moi était défaillante jusqu’à la destruction ; car la force de mon corps a disparu et mon cœur a coulé comme de l’eau [Flavius Josèphe dit: C’est ainsi que, se livrant à d’inopportunes chevauchées, contraignant son corps à des efforts qui dépassaient ses forces, il hâta son dernier jour.] Ma chair s’est fondue comme la cire. La force est devenue de l’effroi. Mon bras s’est brisé du coude sans que je puisse agiter la main. Mes pieds sont pris dans le cep et mes genoux ont coulé comme l’eau sans que je puisse avancer d’un pas [il n'a plus de forces.] [Colonne XVI (VIII), l. 26–34]
Notons tout de suite les deux parallèles : Jannée et l’auteur souffrent tous deux de fièvres, et les deux textes parlent clairement d'un affaiblissement généralisé qui mène à la mort. Les parties sur l'ivresse sont probablement une exagération de Flavius Josèphe en vue de diminuer ce roi.

La probabilité que ce soient deux hommes différents qui auraient été rejetés par leurs pères, exilés, emprisonnés, que leurs hommes (ses disciples pour le Maître de Justice et ses sujets pour le roi Alexandre Jannée) se soient révoltés contre eux et qu’ils furent insultés par eux, qu’ensuite, ils les frappèrent pour prix de leur révolte, qu’ils soient tombés dans un précipice, et qu’ils soient morts d’une longue maladie EST IMPOSSIBLE. L’attribution de la rédaction de la partie autobiographique des Hôdayôth par Alexandre Jannée doit donc être considérée comme certaine.

Nous sommes attirés par ces hymnes, parce que leur auteur nous semble correspondre à la vision du juste souffrant, sorte de pré-Jésus-Christ; mais ce n’était pas la réalité, l’un des auteurs est un roi hasmonéen, le plus redouté de sa dynastie et un conquérant infatigable. Il y raconte les souffrances qu’il eut face à la révolte de ses sujets tout autant qu’aux moqueries dont il était l’objet, il y raconte qu’il dut les mettre au pas, les chercheurs n’avaient évidemment pas pensé que cela voulait dire les faire crucifier.

Alexandre Jannée

La présence d’au moins neuf exemplaires des Hôdayôth parmi les manuscrits de la Mer Morte témoigne de la popularité de l’œuvre. Les parties approbatrices de la politique anti-pharisienne d’Alexandre Jannée déjà relevée dans le Pesher Nahum, autant que la prière rédigée en sa faveur (4Q448) va impliquer une réévaluation des rapports de ce roi et des auteurs des manuscrits; mais même tout simplement de sa personnalité réelle. Rappelons que Flavius Josèphe le décrit comme cruel et jaloux, puisqu’il assassine un de ses frères et qu’outre la crucifixion de ses ennemis, il fait égorger leurs femmes et leurs enfants devant eux; il est débauché, puisqu’il s’entoure de concubines; et enfin, c’est un ivrogne qui va mourir de ses excès de boissons. Ce portrait au vitriol est peut-être une simple manière d’amoindrir ce roi qui fit de la Judée un État puissant et redouté, et dont le souvenir devait rester vivace auprès de la population juive qui entra en révolte contre la domination romaine en 66.
La description de Jannée comme un niais par les rabbins serait issue d’un compromis avec les autorités romaines qui ne voulaient plus avoir de révoltes, c’est ainsi que Jannée et Bar Kokheba seront décrits négativement par le Talmud et que les conceptions messianiques s’y feront très discrètes.
Les raisons de la révolte contre Jannée sont mal connues, officiellement il s’agirait de calomnies comme quoi il serait le descendant d’une captive. Nous venons de montrer les liens des manuscrits de la Mer Morte avec ce dernier; or, si on regarde des textes comme le Rouleau du Temple ou 4Q251, il semble clair que ceux-ci, s’ils sont appliqués, ont d’innombrables implications fiscales (fêtes supplémentaires, prélèvements sur le bois, les légumes, le vin et le pain, etc.) À toutes les époques, un alourdissement de la fiscalité peut se traduire par des révoltes. Quand la Judée devint indépendante en –152, elle est limitée à Jérusalem. Pendant, 30 ans les hasmonéens durent se limiter à résister et, à partir de –120, Jean Hyrcan commencera une politique expansionniste couronnée de succès, celle-ci sera poursuivie par ses fils Aristobule et Antigone, et ensuite par Jannée. L’État judéen à la mort de Jannée s’étend sur tout le territoire israélien d’aujourd’hui, y compris la Cisjordanie, mais aussi sur l’Iturée (Damas est visible des frontières judéennes) et 1/4 de la Jordanie est judéenne. Une telle extension territoriale a dû poser d’innombrables soucis financiers: les États quand ils ont besoin d’argent n’ont que les impôts. L’explosion des prélèvements fiscaux aurait alors provoqué du mécontentement à l’époque d’Hyrcan et une révolte ouverte à l’époque de Jannée. Les pharisiens seraient simplement ceux qui veulent une baisse de ces charges et une stabilisation de l’État judéen, plutôt qu’une extension sans fin, d’ailleurs implicite à la Règle de Guerre.

Le Maître de Justice

Les Hôdayôth ne sont pas qu’autobiographiques, de nombreuses parties sont spirituelles, à moins de voir en Alexandre Jannée le Maître de Justice, il faudrait plutôt soupçonner une œuvre de collaboration entre Jannée et ce dernier, ce qui impliquerait qu’ils étaient contemporains et très probablement intimes. De l’œuvre de Flavius Josèphe, un seul nom émerge: Diogène (probablement Asyah עשיה ou Asya’èl עשיאל en hébreu), considéré comme le responsable du massacre des pharisiens et qui sera pour ce motif égorgé par ceux-ci au début du règne de Salomé Alexandra, vers –75. Diogène est présenté dans la version syriaque des Macchabées comme le chef des Sadducéens, ce qui en ferait ipso facto un qohen. Chef des Sadducéens ou Maître de Justice? La similitude entre les deux titres est troublante d’autant plus que les aspects sacerdotaux et sadducéens des manuscrits de la Mer Morte commencent à être mis en lumière.
Néanmoins cette hypothèse semblerait contredire ce que dit l’Écrit de Damas qui affirme que l’apparition du Maître de Justice a eu lieu 390 ans et 20 ans après la déportation de Babylone, au nombre de trois, la dernière a eu lieu en –581 (–581 + 390 = –191 + 20 = –171), ce qui correspond, à quatre ans près, au début de la révolte des Macchabées, ensuite l’Écrit de Damas poursuit, en disant que Dieu 
les visita et fit pousser d’Israël [des Juifs] et d’Aaron [de Mathathias & de ses fils] une racine de plantation [les Assidéens] pour prendre possession de Son pays [pour rendre la Judée indépendante] et pour s’engraisser avec la fertilité de Son sol. [Et donc, de ne plus payer de tribut à des rois étrangers] [CD I 7–8.]
Il faudrait alors admettre que «Maître de Justice» désigne une succession de dirigeants qui appartinrent aux familles hasmonéennes ou à celles qui lui sont apparentées.

Réévaluer les manuscrits de la Mer Morte

L’identification d’Alexandre Jannée en tant qu’auteur d’une partie des Hodayôth va impliquer d’innombrables questions sur les Manuscrits trouvés près de Qumran et à Massada, auxquelles il faudra trouver des réponses qui ne seront pas forcément faciles à accepter.
Une première conséquence, c’est que la piste sadocide des manuscrits de Qumran va devenir impossible à soutenir; en effet, les manuscrits s’enracinent au plus profond de la vision sacerdotalo-militaristes des premiers hasmonéens. 
Flavius Josèphe écrit que quatre écoles fleurissaient en Judée. Il s’agit des écoles pharisiennes, sadducéennes, esséniennes et sicaires. Les manuscrits ne sont absolument pas pharisiens, mais ils ne sont que partiellement sadducéens, que partiellement esséniens et que partiellement sicaires. 
Une piste intéressante se trouve peut-être dans la version syriaque des Macchabées qui dit qu’il existe trois écoles dans le judaïsme : les pharisiens, les sadducéens et les assidéens, c’est-à-dire les hasîdîm (חסידים) ou les «Pieux». Flavius Josèphe et Philon très curieusement n’utilisent jamais le mot Ἀσιδαῖοι, pourtant attesté dans les premier et deuxième livres des Macchabées. L’absence de ce terme pourrait laisser supposer qu’il était trop suspect aux yeux de leurs lecteurs romains. En effet, on sait que les Romains appelaient les révolutionnaires juifs des sicaires, mais comment se présentaient-ils à eux? Peut-être se décrivaient-ils simplement comme les «Pieux». Les manuscrits seraient alors issus des Assidéens qui suivirent Judas Macchabée, cette dernière école plongerait ses racines dans une volonté de faire de la Judée une nation indépendante et forte, ce que l’on savait, et dans des perspectives mystiques liées au Livre d’Hénoch, ce que l’on ne savait pas. 
Les esséniens ne seraient alors qu’une simple fabulation de Flavius Josèphe et de Philon d’Alexandrie qui, afin d’assurer la pérennité des enseignements spirituels des assidéens, auraient décrit cette école comme pacifique envers Rome sous le nom d’esséniens. Il n’y aurait donc jamais eu ni d’esséniens ni de sicaires, mais plus simplement des assidéens qui pratiquent une mystique hénochéenne et qui, régulièrement, tentèrent des révoltes contre Rome (Judas le Galiléen, Menahem, Éléazar de Massada, etc.) et Flavius Josèphe, qui était lui-même issu d’une importante famille officiant au Temple de Jérusalem, aurait soigneusement dissimulé qu’il s’agissait de qohanîm afin de protéger leurs proches.
L’école pharisienne remonte à la grande Synagogue; mais, au sein de cette institution encore très mal connue s’est développée une interprétation scripturaliste de la Bible qui estimait que les Juifs devaient libérer la Judée de toute domination étrangère, ce qui contredisait la tradition orale du compromis avec les autorités d’occupation. L’État séleucide, aux abois après sa défaite contre Rome en –189, faisait face à de graves difficultés de Trésorerie; il tentera ainsi de s’emparer des dépôts gardés par le Temple de Jérusalem et d’helléniser les Juifs. La politique de terreur d’Antiochus Épiphane permettra à l’idéal indépendantiste des Assidéens d’émerger en tant que mouvement de résistance et d’obtenir l’indépendance de la Judée au bout de presque vingt années de luttes.

Les pré-pharisiens, face à la persécution d’Antiochus Épiphanes finirent par rejoindre le mouvement assidéen, mais s’en séparèrent progressivement à cause de la théocratie hasmonéenne. Il semble aussi que les pharisiens refusaient les pratiques mystiques liées au Livre d’Hénoch et les réformes calendaires implicites à ce texte; ainsi que leur interprétation ultra rigoriste des lois.

Les pesharîm (Pesher Nahum, Pesher Habakuk, etc.) montrent la rupture progressive entre Assidéens et Sadducéens qui étaient originellement un seul mouvement. La mystérieuse maison d’Absalom pourrait faire allusion à Absalon oncle et beau-père d’Aristobule II, et donc le probable jeune frère d’Alexandre Jannée qui se serait allié au parti pharisien et aurait participé à l’exécution de Diogène. Une partie des assidéens aurait refusé de soutenir militairement Aristobule dans sa lutte contre Hyrcan II, en estimant qu’ils n’avaient rien à voir avec des luttes de personnes: les assidéens ne seront pas plus des légitimistes hasmonéens qu’ils n’ont été des légitimistes sadocides. La rupture ne fera que s’amplifier lorsqu’Hyrcan II appellera les Romains et qu’Antigone Matthathias demandera l’aide des Parthes (–40) pour reconquérir son trône. Ils pourraient avoir rallié Hérode avec Menahem l’Essénien (peut-être l’auteur de 4QMMT). C’est à cause de l’origine commune des assidéens et des sadducéens que les manuscrits de la Mer Morte sont parfois considérés comme appartenant à cette dernière école; mais, en réalité, si les sadducéens conservèrent une interprétation scripturaliste de la Loi, ils acceptent le point de vue des pharisiens en ce qui concerne les sacrifices, ce que les assidéens n’accepteront jamais. Lors de la révolte de 66, les trois partis y participeront, mais leurs déchirements aideront les Romains dans leur anéantissement de la Judée. 
Les assidéens lorsqu’ils obtiennent des illuminations spirituelles, Flavius Josèphe dira qu’ils sont des esséniens, et lorsqu’ils combattent les Romains, il dira alors que ce sont des sicaires; en se gardant bien de dire qu’il s’agit des mêmes personnes, les sicaires doivent être considérés comme la branche armée des assidéens depuis la révolte contre le recensement de 5 jusqu’à la chute de Massada en 74. Les sicaires ne furent pas des brigands, mais bien les fidèles à l’idéal nationaliste judéen défendu pas Judas Macchabée et par les manuscrits de la Mer Morte.


Notes

1. Jean Hyrcan est né entre –180 et –160, grand-prêtre en –134, meurt en –104.
2. Aristobule Ier est né vers –130, grand-prêtre en –104, meurt en –103.
3. Salomé Alexandra: date de naissance inconnue, probablement vers –120, reine à la mort de son mari Jannée en –76, elle meurt en –67. D’après le Talmud, elle fut la sœur du chef du Sanhédrin Shiméon ben Shetah.
4. Aristobule eut une vie tumultueuse, roi et grand-prêtre de –67 à –63, après l’éviction de son frère Hyrcan II; il fera l’erreur de réclamer l’aide de Pompée contre Hyrcan II qui était soutenu par Antipater. Pompée annexera la Judée à Rome, placera Hyrcan II à la grande prêtrise et Antipater à la tête du gouvernement réel. Aristobule sera déporté à Rome. Il s’en échappera, mais sera à nouveau vaincu. Libéré vers –50 par César, il est envoyé pour s’opposer à Pompée qui le fera empoisonner.
5. Demetrius III: date de naissance inconnue, roi de Damas de –96 à –88. Il meurt en –87 de maladie, après avoir été battu et emprisonné par le roi des Parthes Mithridate II.
6. On peut se référer à Shani L. Berrin. The Pesher Nahum Scroll from Qumran. An Exegetical Study of 4q169. Leiden, Boston, Brill, 2004.
7. Voir l’ouvrage de Shani L. Berrin pour une discussion détaillée de ces hypothèses qu’il réfute tout au long de son livre.
8. «A Scroll from Qumran which includes Part of Psalm 154 and a prayer for King Jonathan and his kingdom», Tarbiz, 60, 1991, pp. 295–324.



Bruxelles, le 12 décembre 2015
— Stephan Hoebeeck