vendredi 7 octobre 2016

Jésus le Sicaire

Un article de Michaël Girardin qui a été publié par Le Point et qui est intitulé Jésus était-il un terroriste ? Exige une mise au point à la fois sur les terroristes, sur les sicaires et sur Jésus.

Les sicaires
Si les sicaires étaient des terroristes, alors on peut tout autant décrire les résistants français qui refusèrent de plier face au nazisme comme des terroristes. 
L’acte de résistance vise des cibles stratégiques, dont éventuellement des collaborateurs civils, en vue d’objectifs précis et réalistes ; l’acte de terrorisme vise à la terreur sans objectifs réellement précis voire même possibles : croit-on vraiment que les attentats au couteau vont faire plier Israël, que du contraire, ils achèvent de convaincre la totalité des Israéliens qu’il n’est nulle paix possible avec les Palestiniens. 

Les sicaires sont les successeurs des hassidim (les pieux ou les Assidéens) qui suivirent Judas Macchabée et ses frères, et qui obtinrent des Séleucides l’indépendance de la Judée (limitée à Jérusalem et sa banlieue) en –152. Ces groupes religieux et nationalistes ne disparurent jamais ; d’abord fidèles aux hasmonéens, ils s’en séparèrent à l’époque de Salomé Alexandra (–76) qui se soumit aux pharisiens. Ézéchias, le père de Judas le Galiléen, le fondateur des Sicaires, organisa une révolte en Galilée en –47 et fut exécuté par Hérode qui n’était alors que stratège (gouverneur) de cette région. Il est probable que ces groupes furent de toutes les révoltes et bien avant l’an 6. 
On peut lire dans les Antiquités Juives, les exactions et la corruption des procurateurs romains, qui devinrent telles qu’en 66, quand Menahem le Sicaire prit Massada et quand Shimeon le Zélote ou le Shammayite (disciple de Rabbi Shammay) arrêta les sacrifices en faveur de l’empereur, le peuple judéen se souleva dans son ensemble, tant le mécontentement était généralisé.
La rivalité entre Sicaires, Zélotes et d’autres groupes affaibliront les forces judéennes face à Rome, ce qui entraînera la prise de Jérusalem, la destruction du Temple en 70 et la mort de 1 à 2 millions de Juifs et l’esclavage pour des centaines de milliers d’entre eux.

L’article
D’abord Judas Iscariote, l’auteur signale la thèse de Samuel Brandon, à notre avis juste, qu’Iscariote est bien une déformation de Sicaire (Sicaire = ‘iskariôth en hébreu ancien) ; mais il omet de dire que le père de Judas Iscariote est clairement identifiable, puisqu’il s’agit de Simon le Sicaire, le propre fils de Judas le Galiléen et qui fut crucifié par Tibère Alexandre en 48.
L’auteur dit : « En revanche, aucune mention des Esséniens ni des Sicaires n'est clairement visible, ce qui convainc que ces groupes ne se reconnaissaient pas dans la prédication de Jésus. » Une telle affirmation est facile à réfuter ; en effet, les manuscrits de Qumran montrent que les Esséniens étaient extrêmement hostiles aux pharisiens et aux sadducéens accusés de manquer d’amour pour le prochain et de collaborer avec l’ennemi. Il est donc infiniment plus simple de déduire que si Jésus attaque les pharisiens et les sadducéens, c’est parce qu’il est lui-même un Essénien ou un sicaire. De plus, notons le parallèle entre les attaques contre la Torah orale des pharisiens tant de Jésus que des Esséniens, et probablement des sicaires (par exemple dans la dispute sur les mains non lavées.) 
L’auteur dit encore que pour comprendre Jésus, la piste pharisienne est plus prometteuse. Il existe en effet quelques similitudes entre les enseignements de Jésus et ceux de Rabbi Hillel, mais aussi beaucoup de dissemblances, comme les positions de Jésus sur le divorce qui attaque implicitement celles d’Hillel et est identique à celle des Esséniens: l’un des rares enseignements de Jésus ayant une portée juridique est effectivement essénien. Enfin quand Jésus envoie ses disciples en missions et leur dit qu’ils seront accueillis par des gens pieux, c’est peu réaliste pour un mouvement né quelques semaines avant ; par contre, c’est logique si Jésus s’inscrit dans la tradition essénienne qui avait des établissements répartis dans toute la Judée pour accueillir les Esséniens en déplacement. 

L’auteur de l’article dit encore : « On peut arguer que ces écrits déforment la vérité, mais en l'absence d'autre source, il est délicat de proposer un autre regard sans tomber dans la spéculation. Peut-être un autre document sera-t-il un jour découvert, qui portera à changer ces conclusions. » Or, de tels documents existent, comme les fragments de l’évangile dit d’Egerton qui datent de 120 et qui sont donc les plus anciens documents datables mentionnant Jésus (le suivant est 30 ans plus tardif et est conforme aux évangiles). Ces minuscules fragments (1 feuillet) nous montrent un Jésus qui refuse de payer l’impôt à César, CE QUI, TECHNIQUEMENT, S’APPELLE POUR LES ROMAINS « SE RÉVOLTER ». Ces passages d’Egerton permettent de mieux comprendre pourquoi les évangiles disent que ceux qui débattent avec Jésus avaient peur de la foule ; en effet, la foule était majoritairement hostile aux Romains et ceux qui l’interrogent sont des collaborateurs des Romains, si Jésus a dit : Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, ces collaborateurs n’ont aucune raison de contredire Jésus ; mais si Jésus, comme le dit le fragment d’Egerton, a assez clairement refusé de payer le tribut à Rome, on comprend bien mieux pourquoi ils craignent la foule s’ils le contredisent ; et aussi pourquoi il sera accusé devant Pilate de refuser de payer le tribut (Luc 23, 2). Les Pères de l’Église ont attaqué un évangile perdu, l’évangile des Hébreux, des Nazaréens ou des Ébionites, mais leurs citations nous font découvrir un Jésus plus juif et aimé de son peuple que ce que les quatre évangiles canoniques ont bien voulu dire.

Le Jésus de l’histoire
Les évangiles souffrent de réécritures nombreuses, d’anachronismes, de réminiscences bibliques (les miracles de Jésus ont quasi tous leur original dans l’Ancien Testament) et profanes (particulièrement Flavius Josèphe)… Mais, quand ces éléments ont été retirés, il reste bien des éléments très difficiles à expliquer et qui offrent des pistes pour identifier le Jésus historique. 
Jésus annonce le Royaume, mais lequel ? le royaume des cieux comme dit Matthieu ou le royaume de Dieu comme dit Luc… Comme il est impossible de confondre « des cieux » avec « de Dieu » en hébreu, Jésus aurait plus simplement annoncé le royaume, c’est-à-dire le royaume de Judée libre et indépendant de la domination romaine.
Peu d’épisodes des évangiles permettent de faire le lien avec le Talmud, mais le Talmud mentionne bien que Qaïphe a fait transférer le marché des viandes et les changeurs dans l’enceinte même du temple ; le Talmud dit que le sanhédrin a décidé que les marchands devaient quitter l’enceinte du Temple et Qaïphe, bien gentiment leur aurait obéi. C’est peu réaliste, Qaïphe est grand-prêtre par la grâce de Rome, ce que le Sanhédrin décide n’a aucune importance tant que le pouvoir romain le cautionne. Par contre, une révolte organisée au temple même par Jésus et par les prêtres du bas clergé, en général, férocement nationalistes, est finalement plus simple à admettre. Remarquons deux points, là où dans les œuvres de Flavius Josèphe nous devrions lire cette affaire du Temple, nous y découvrons la mention de Jésus, ce qui ferait du Testimonium Flavianum une falsification, et ailleurs, il mentionne qu’en 35, donc peu de temps après l’exécution de Jésus, le légat consulaire de Syrie, Lucius Vitellius a fait démettre Qaïphe à cause de ses fautes, sans qu’il ne précise lesquelles. On pourrait supposer que le Temple a connu une quasi-insurrection et que la raison de la perte de sa charge serait bien due à ses abus et aux mécontentements qu’ils ont provoqués et qui auraient culminé avec Jésus, finalement exécuté par son protecteur, Ponce Pilate, ce qui ferait bien de Jésus un sicaire. 

Plusieurs passages des évangiles laissent soupçonner des réécritures, comme la question sur le jeûne que ne suivent pas les disciples, et Jésus dit que 
Les amis de l’époux peuvent-ils s’affliger pendant que l’époux est avec eux ? Les jours viendront où l’époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront. (Mt. 9, 15 ; Mc 2, 19–20 ; Lc 5, 34–35)
Pour comprendre le sens de ce passage, il convient de se demander de quel jeûne il s’agit. Ce n’est certainement pas Yôm Kippur, universellement admis parmi les Juifs, les rabbins auraient considéré Jésus comme un apostat pur et simple si ni lui ou ses disciples ne l’accomplissaient. Compte tenu de la réponse, il serait assez logique qu’il s’agisse du jeûne du 9 av qui commémore la destruction du Ier Temple (et ensuite du IIe); la réponse de Jésus ne viserait pas à asseoir une croyance en lui, mais décrirait bien que certains Juifs refusaient le jeûne du 9 av parce que le Temple avait été reconstruit ; il n’y est annoncé ni le départ de Jésus ni qu’il faudrait jeûner pour cela mais la destruction du IIe Temple (quand l’époux leur sera enlevé), et qu’alors, ils devront jeûner.
En Matthieu 11, 12–13 et en Luc 16, 16, on lit un passage très étrange. 
Depuis le temps de Jean [Baptiste, manque en Luc] jusqu’à présent, le royaume [Mt. des cieux/Lc de Dieu] est [Mt. forcé/Lc annoncé], [et ce sont les violents qui s’en s’emparent/Lc et chacun use de violence pour y entrer.] Car tous les prophètes et la loi ont prophétisé jusqu’à Jean
Si nous suivons la chronologie évangélique, Jean Baptiste est mort depuis quelques jours, quel changement a bien pu se produire pour que soudainement les violents s’emparent du royaume ; par contre si Jésus est bien la nationaliste judéen que nous soupçonnons, alors cela devient assez clair, le Jean en question n’est pas Jean le Baptiste, mais Alexandre Jannée, et effectivement, Flavius Josèphe considère aussi que ce n’est qu’après la mort de Jean Hyrcan et de Jannée que la prophétie s’est arrêtée; quant aux violents qui veulent s’emparer du royaume, cela fait allusion à la querelle des deux fils de Yannay qui ouvriront les portes à la conquête romaine de –63.

La Guerre civile juive (–110 à 70)
Il existe bien une guerre civile en Judée qui a duré de Jean Hyrcan (grand-prêtre en –135, mort en –104) et qui s’est achevée avec la destruction du Temple en 70, mais plus probablement avec la guerre de Qitos en 115–118 ; si on enlève le verbiage idéologique, cette guerre oppose les pharisiens aux assidéens ou les rabbins aux prêtres, le sanhédrin au Temple, les descendant de David contre les descendants d’Aaron. Si réellement, Jésus a été un descendant de David, comment expliquer son hostilité aux rabbins, ses supporters normaux… 
Et il existe plusieurs arguments tirés des évangiles qui montrent que Jésus n’était pas un fils de David mais un fils d’Aaron:
  • Jésus quand il naît est consacré au Temple, seuls les fils d’Aaron sont consacrés à leur naissance (Luc 2, 23). 
  • Les textes de Qumran parlent de deux messies, un messie d’Israël, probablement un messie fils de David qui est un chef de guerre et un messie fils d’Aaron qui représente Dieu sur terre et fait connaître aux hommes la volonté de Dieu, il est aussi chargé d’enlever les péchés des hommes. Jésus a toutes les caractéristiques d’un Messie Fils d’Aaron et aucune d’un Messie Fils de David.
  • La généalogie de Jésus d’après Luc : Jésus est fils de Joseph, d’Élie, de Matthat, de Levy, de Melchi, de Jannée. D’abord Melki n’est pas un prénom hébreu mais arabe ; mais c’est aussi un mot (melek) qui signifie « roi ». Or un roi de Judée s’est appelé Yannay (Alexandre Jannée) qui fut roi et grand-prêtre de –103 à –76. Officiellement, il n’a été marié qu’à Salomé Alexandra qui lui donna deux fils, c’est ce que prétend Flavius Josèphe. Il n’est néanmoins pas impossible qu’il ait eu deux femmes, et que lors de la prise du pouvoir par Salomé Alexandra, elle ait tenté de faire éliminer les fils de sa rivale afin de favoriser les siens… C’est de cette descendance que pourrait être issue la dynastie sicaire à laquelle aurait appartenu aussi Jésus. Cela ferait du Jésus de l’histoire un prince hasmonéen de Judée et un messie Fils d’Aaron. De là, la crainte des Romains face à Jésus, il appartenait à une famille prestigieuse, royale, sacerdotale et surtout ultra nationaliste. 
  • Mentionnons encore que le Talmud raconte que Jésus aurait vécu à l’époque de Jean Hyrcan, donc un décalage de 100 ans avec les évangiles, et lorsqu’un élève de Maïmonide l’a interrogé sur cet anachronisme, ce sage lui répliqua que Jésus était le dépositaire d’une lignée qui s’était opposée aux rabbins depuis l’époque du Jean Hyrcan, on ne peut dire plus clairement que Jésus est de la lignée du Maître de Justice des Esséniens.

Une autre question indirectement liée à la personne de Jésus, ce sont les chrétiens : bien des énigmes subsistent sur eux ; ils sont censés exister depuis l’an 30, et en 150, excepté le Nouveau Testament, ils n’ont composé que quelques textes : 
l’Épître de Barnabé (vers 140) ; la Didachè (un manuel de conversion au judaïsme christianisé) ; l’Épître aux Corinthiens de Clément de Rome (vers 140, qui donne les principaux points de la foi chrétienne et qui ne connaît pas l’eucharistie) ; le Pasteur d’Hermas (qui ne mentionne jamais Jésus et pour qui le Fils de Dieu est l’Esprit Saint) ; l’Apologie d’Aristide (datée officiellement de 125, puisqu’il loue Hadrien de la punition qu’il a infligée aux Juifs ce qui peut difficilement faire allusion qu'à la monstrueuse répression contre les Juifs pendant la Seconde Guerre judéo-romaine de 132–135) ; les œuvres de Pappias d’Hiérapolis semblent dater de 120, mais elles sont perdues ; quant aux épîtres d’Ignace d’Antioche, elles contiennent une allusion à Lucien, elles doivent donc dater des années 170–180. 
L'absence d'une littérature chrétienne ancienne montre que le christianisme est moins ancien que ce que l’on veut faire croire. Certains passages du Discours eschatologique paraissent faire allusion à Shiméon bar Kokhebâ, le chef de l’insurrection qui est mentionné comme ayant organisé une répression contre les chrétiens parce qu’ils refusaient de prendre les armes contre les Romains. Les chrétiens ne seraient alors plus des chrétiens mais des judaïsants d’Alexandrie (métis judéo-grecs et convertis) qui cherchaient un compromis avec Rome et qui feront des évangiles une sorte de mélange de Bible et de philosophie grecque centré sur Jésus… et qui renoncent à la libération du royaume de Judée pour se concentrer sur le royaume des cieux… Le christianisme n’est alors qu’un judaïsme assagit face à Rome, mais dépassé par le succès de ses textes fondateurs (ceux du Nouveau Testament), il va rapidement évoluer vers une déjudaïsation complète. Le passage de Jésus le Sicaire à Jésus le Messie est simplement le passage du judaïsme révolté contre Rome au judaïsme romanisé: le christianisme.

Si la prédication paulienne visant à abolir la circoncision avait eu quelque réalité, elle aurait été combattue par Philon et par Flavius Josèphe, mais ils n'ont rien dit, et dans la mesure où de nombreux textes chrétiens sont antidatés, on doit soupçonner que le rejet de la circoncision date des années 130, quand l'empereur Hadrien la fit interdire sous peine de mort dans tout l'Empire Romain...







2 commentaires:

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    1. volontiers mon mail est esh.perardua@gmail.com ou facebook https://www.facebook.com/pahalyah

      bien à vous...

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