A priori, l'affaire est entendue, Jésus était un davidide: ses généalogies le prouvent, sa naissance à Bethléem et différentes appellations qui se lisent dans les évangiles.
Ces éléments, probants en apparence, ne sont pas aussi fiables qu'on le pourrait le croire. En effet, les pharisiens révèrent les descendants du roi David; une grande partie de leurs dirigeants d'il y deux mille ans comme aujourd'hui sont des descendants réels ou supposés du roi David. On comprend donc très mal les disputes virulentes entre Jésus et les rabbins...
Les généalogies
C'est déjà le premier problème, au lieu d'y avoir une généalogie, il y en a deux. Aucune des deux ne correspond strictement aux données de l'Ancien Testament. Par exemple, pour Matthieu, Jésus descend de Zorobabel par Salomon; alors que pour Luc, il descend de Zorobabel par Nathan. Enfin, les descendants de Zorobabel sont nommés dans le Livre des Chroniques et il y a absence complète de compatibilité entre ces différentes données.
J'épargne aux lecteurs les hypothèses qui font de l'une des deux généalogies celle de Marie; en effet, cette information n'est pas justifiée par les évangiles; enfin, le père du père, etc. de Zorobabel ne sait pas être à la fois Nathan et Salomon.
Une autre hypothèse serait de faire intervenir le lévirat. D'après Matthieu, Joseph est fils Jacob, de Matthan, d'Éléazar, etc.; d'après Luc, Joseph est fils d'Hélie, de Mathat, de Lévi, etc. Pour que le lévirat fonctionne, il faudrait que Héli et Jacob aient le même père, comme Matthan et Mathat pourraient être le même prénom, on va considérer que c'est une variante orthographique du même prénom. Admettons, mais alors pourquoi le père de Matthat/Matthan s'appelle Éléazar chez Matthieu et Levy chez Luc... Bref, cette explication convaincra les convaincus, mais personne d'autre.
Enfin, la généalogie de Joseph dans Luc contient une anomalie (3, 23–24): Joseph est fils d'Héli, de Mathat, de Levy, de Melchi, de Jannée. Melchi pourrait être une erreur pour roi, Jannée est bien le nom d'un roi de Judée, le roi Alexandre Jannée. Jannée est la forme grecque de Yannây, elle-même forme araméenne de Yèhônathan. Alexandre Jannée fut le fils du grand-prêtre Jean Hyrcan et naquit vers –130. Il fut rejeté par son père, mais devint roi et grand-prêtre à la mort de ses deux grands-frères (en –103). Extrêmement sévère, il dut faire face à une vaste révolte provoquée par des pharisiens. Pour ces derniers, la répression fut terrible. Après en avoir fait crucifier 800 d'entre eux, ils préférèrent s'exiler. Jannée mourut en –76. Son épouse prend possession du trône et confie la grande-prêtrise à Hyrcan qui semble le plus maléable des deux. Aristobule succèdera quelques mois à sa mère, mais l'intervention de Pompée en Judée transformera ce pays en province romaine et finalement échoira à Hérode, par la grâce des Romains.
Jannée a eu deux fils: Hyrcan et Aristobule. Hyrcan n'a eu que des filles. Aristobule a eu deux fils: Alexandre Jonathan et Antigone Mathathias. Alexandre Jonathan a eu un fils et une fille, le fils sera assassiné par Hérode à 17 ans et mourra sans postérité connue. Antigone Mathathias est mort aussi sans postérité connue, mais il n'est pas mort à 17 ans mais vers 35 ans... Il peut donc très bien avoir eu une descendance qui aurait été cachée à Hérode afin d'échapper à sa vengeance. Hérode haïssait les hasmonéens et veillera à exterminer tous les membres de cette famille, y compris sa femme et les deux fils qu'il eut avec elle.
Flavius Josèphe a toujours prétendu que sa mère appartenait à la branche royale de la famille hasmonéenne, ce qui implique que le père de sa mère était d'ascendance hasmonéenne. De toutes les informations qu'il donne, par Hyrcan, il n'y a pas de postérité mâle; par Jonathan Alexandre, il y a un fils qui meurt jeune, et s'il avait eu un fils, Hérode l'aurait certainement fait disparaître. Il ne peut donc y avoir eu descendance hasmonéenne royale que par Antigone Mathathias.
Jonathan Alexandre, Yehônathan, c'est le nom hébreu, Alexandros, c'est le nom dans leurs rapports avec le monde greco-romain. Antigone Mathathias, Mathithyhû, c'est le nom hébreu et Antigonos, c'est le nom dans leurs rapports avec le monde greco-romain. Le nom hébreu d'Aristobule n'est hélas pas documenté, on sait que le nom hébreu d'Aristobule Ier était Yehudah, mais les monnaies ne permettent pas de trancher.
Reprenons. Joseph est fils d'Héli, fils de Mathat (Antigone Mathathias) fils de Levy (Aristobule) fils du roi (melki) [Alexandre] Jannée. Cette hypothèse ferait de Jésus un prêtre issu des grands-prêtre et des rois de Judée. Enfin, la mère de Flavius Josèphe serait alors la sœur ou la cousine de Jésus; ce qui ferait de Flavius Josèphe, le premier biographe de Jésus, simplement à travers des souvenirs familiaux.
Enfin, rappelons que dans l'Évangile de Jean écrit (7, 42): L'Écriture ne dit-elle pas que c'est de la postérité de David, et du village de Bethléhem, où était David, que le Christ doit venir? On en peut dire plus clairement que Jésus n'est ni né à Bethléem ni un descendant de David. Quand les pharisiens interrogent Jésus sur de qui doit descendre le messie, la réponse de Jésus ne laisse planer aucun doute, il nie une ascendance davidide au messie... (Mt. 22, 41–46; Mc 12, 35–37; Lc 20, 41–44).
La naissance à Bethléem
Malgré qu'elle soit affirmée par Matthieu et par Luc, l'Évangile de Jean la nie. En outre Matthieu situe cette naissance avant la mort d'Hérode, donc avant –4: et Luc situe cette naissance à l'époque du grand recensement, donc en 6. Les deux narrations ressemblent donc à des histoires qui n'ont pas de fondements historiques, des inventions donc.
Les appellations «fils de David» dans les évangiles.
Cette appellation n'existe pas en Jean et est même niée. Reste les trois synoptiques: Mt., Mc et Lc. Si on excepte les parties préliminaires (Mt. chap. 1–3/Lc chap. 1–3) et la mention du fils de David dans la demande relative à l'ascendance du messie, cette appellation apparaît 6 fois en Mt., 2 fois en Mc et 2 fois en Luc. Le deux mentions de Luc et de Mc sont au même endroit, il s'agit d'un AVEUGLE à Jéricho qui demande à être guéri (Mt. 20, 29–34; Mc 10, 46–53; Lc 18, 35–43) L'épisode est dédoublé chez Mt. (9, 27–30).
Chez Matthieu, il reste donc quelques apparitions de ce titre:
- Juste avant d'être accusé de magie. Mt. (12, 23) a Toute la foule étonnée disait, N'est-ce point le fils de David. Luc a seulement (11, 14): Toute la foule fut dans l'admiration. Mc pas de correspondance.
- La femme cananéenne appelle Jésus fils de David (Mt. 15, 22); chez Mc, il est juste dit qu'elle vint se jeter à ses pieds. De toute manière, comment une femme inconnue aurait pu savoir qu'il descendait de David.
- Quand Jésus entre à Jérusalem, les foules auraient chanté les hoshanoth, qui est un cycle de prière lié à souccot et pas à Pâque... Seul Matthieu dit Hasanna au fils de David (21, 9); ni Mc, ni Lc, ni Jn n'ont cette appellation de fils de David.
- Quand Jésus aurait chassé les marchands du temple, Seul Matthieu dit que la foule aurait récité Hosanna au fils de David (21, 15); ni Mc ni Lc ne mentionnent rien de tel.
Conclusion
Il n'existe rien qui dans les évangiles établirait avec certitudes que Jésus aurait été un descendant du roi David.
- Les deux généalogies ne sont pas compatibles, et le début de celle de Luc décrit plutôt une ascendane hasmonéenne;
- La naissance à Bethléem est fictive pour Jean, quant à Mt et Lc ils se contredisent tant sur la date que sur les circonstances.
- Les évangiles synoptiques certifient tous que des aveugles à Jéricho ont appelé Jésus Fils de David... Évidemment, des aveugles qui voient que Jésus est un davidide.
- On constate que dans les autres endroits des les parties synoptiques aux passages dans lesquels Matthieu affirme que la foule a appelé Jésus fils de david; ces passages n'existes pas ou diffèrent chez Luc et chez Marc.
- Une ascendance hasmonéenne permettrait aussi de comprendre la haine que les pharisiens lui vouaient; en effet, si l'arrière-arrière-grand-père de Jésus est le roi Alexandre Jannée; les pharisiens sont les descendants de ceux que le roi Jannée fit exécuter...
Le début de la généalogie lucanienne aurait visé à présenter Jésus comme un messie issu d'Aaron; en effet, vers 100, les Romains connaissent les Juifs essentiellement par l'œuvre de Flavius Josèphe, et ce dernier méprise les davidides dont il ne souffle mot; pour lui, la noblesse juive, c'est celle des prêtres fils d'Aaron... qui, outre les fonctions sacrificielles, sont souvent riches, et ont des fonctions judiciaires et militaires importantes.
La volonté de faire de Jésus un messie davidide serait un remaniement tardif, datant des années 130/135; en vue de faire de Jésus l'anti Bar Kokhbâ considéré comme un descendant du roi David et comme le messie attendu par les Juifs et donc, de montrer à Hadrien, que les chrétiens ne comptent pas se révolter avec les Juifs contre l'Empire romain.
Addenda
Cela fait longtemps que les commentateurs sont intrigués par l'emplacement de la généalogie de Jésus dans l'évangile de Luc; elle est disposée entre le baptême de Jean et la retraite au désert. La principale explication est de dire que Luc a disposé la généalogie à cet endroit, parce que Jésus commençait sa vie publique. Cette affirmation est un non sens, la vie publique ne commence qu'après les tentations.
Si on suit Flavius Josèphe, Jean a été exécuté quand Antipas occupait la forteresse de Macharonte qu'il venait de conquérir puisqu'elle appartenait à Aretas IV de Petra et qu'elle déterminait la frontière de la Nabatée (à Aretas) et de la Pérée (à Antipas). Cette mention situe la mort de Jean au début de l'été 36. Cela ne laisserait comme moment pour l'exécution de Jésus que la Pâque 37. À cette époque-là, Caipha n'était plus grand-prêtre et avait été remplacé fin 34 par Jonathan ben Hanan; quant à Ponce Pilate, fin 36, le légat consulaire Lucius Vitellius l'avait renvoyé devant Tibère en le mettant en accusation pour ses exactions contre les Samaritains. D'après, cette datation, ni Qaifa ni Pilate n'ont pu juger Jésus. Il faut donc que Jésus ait été jugé et condamné quand Jean était encore en vie, donc vers 33/34.
Enfin, l'emplacement de la généalogie juste avant les tentations nous renseigne sur l'original des évangiles. Jésus n'est issu d'une naissance miraculeuse, ni non plus ne serait devenu messie lors du baptême de Jean. Jésus est un ascète qui a réalisé une expérience spirituelle pendant se retraite dans le désert de Judée. L'évangile original aurait commencé ainsi: Généalogie de Jésus montrant son ascendance hasmonéenne; sa retraite au désert, les tentations sorte de remaniement des trois filets de Bélial dont Jésus sort triomphant, il commence alors à enseigner. La généalogie de Luc contiendrait alors des éléments historiques fondamentaux.
STEPHAN HOEBEECK