dimanche 14 février 2016

Est-ce le Père qui révèle le Fils, ou le Fils qui révèle le Père?

En Matthieu 12, 27, nous lisons:
Toutes choses m’ont été données par mon Père, et personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père; personne non plus ne connaît le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler.
Parallèle à Luc 10, 22 qui dit la même chose:
Toutes choses m’ont été données par mon Père, et personne ne connaît qui est le Fils, si ce n’est le Père, ni qui est le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler.
Les passages sont clairs, c'est le Fils qui révèle le Père.
On a depuis longtemps noté que ces passages ont une connotation johannique qui assez difficile à expliquer, en effet dans l'Évangile de Jean, nous lisons certains passages parallèles:
10.14. Je connais mes brebis, et elles me connaissent, 10.15. comme le Père me connaît et comme je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis.
3.35. Le Père aime le Fils, et il a remis toutes choses entre ses mains.
13.3. Jésus, qui savait que le Père avait remis toutes choses entre ses mains, qu’il était venu de Dieu, et qu’il s’en allait à Dieu.
17.24. Père, je veux que là où je suis ceux que Tu m’as donnés soient aussi avec moi, afin qu’ils voient ma gloire, la gloire que Tu m’as donnée, parce que Tu m’as aimé avant la fondation du monde. 17.25. Père juste, le monde ne T’a point connu ; mais moi je T’ai connu, et ceux-ci ont connu que tu m’as envoyé.
Les similitudes sont indéniables.
Nous ne croyons pas que le Fils révèle le Père, où plutôt les choses sont plus complexes qu'elles ne semblent. 
En effet, en Matthieu 16, 13–20, nous lisons le Kérygme de Pierre, dont voici le texte:
Jésus, étant arrivé dans le territoire de Césarée de Philippe, demanda à ses disciples: «Qui dit-on que je suis, moi, le Fils de l’homme?» 
Ils répondirent: «Les uns disent que tu es Jean Baptiste; les autres, Élie; les autres, Jérémie, ou l’un des prophètes.» 
— «Et vous», leur dit-il, «qui dites-vous que je suis»? 
Simon Pierre répondit: «Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.» 
Jésus, reprenant la parole, lui dit: «Tu es heureux, Simon, fils de Jonas ; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais c’est mon Père qui est dans les cieux. Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle. Je te donnerai les clefs du royaume des cieux: ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux.» Alors il recommanda aux disciples de ne dire à personne qu’il était le Christ.
Discours similaire dans les Homélies Clémentines (17, 18) qui contiennent une forme primitive des plusieurs passages des évangiles, nous y lisons:
Ainsi, à moi aussi le Fils fut révélé par le Père... En effet, après que le Seigneur eut dit que disait-on qu’il était, et comme j’entendais les autres dire qu’il était ceci ou cela; je ne sais comment j’ai dit: «Tu es le fils du Dieu vivant.» Celui qui m’a déclaré heureux m’a fait comprendre que le révélateur était le Père
Ces textes sont clairs, mais contradictoires; les uns disent que «c'est la Père qui révèle le Fils», les autres que «c'est le Fils qui révèle le Père»; que choisir?

Résoudre cette difficulté, c'est-à-dire déterminer QUI RÉVÈLE QUI, a provoqué des cheveux gris aux théologiens classiques; mais, ce n'est pas aussi complexe qu'ils ont voulu le croire. En effet, ceux qui donnèrent aux évangiles leur forme quasi définitive dans les années 135 s'abreuvaient à des sources multiples: les unes qui proviennent du judaïsme mystique antérieur à la destruction du Temple, particulièrement du Livre d'Hénoch; les autres qui proviennent du judaïsme alexandrin postérieur à la destruction du Temple: ce dernier combine des idées juives traditionnelles, philoniennes, hermétiques, mais aussi égyptiennes, etc. 
Première remarque, le début du passage de Matthieu 12, 27 et de Luc 10, 22 n'a probablement rien à voir avec la suite du passage, en effet quand nous lisons:
Toutes choses m’ont été données par mon Père...
Ce passage trouve des parallèles dans les livres de Daniel et d'Hénoch, dans lesquels nous lisons:
Je regardai encore dans la vision nocturne, et voilà qu’au sein des nuages célestes survint quelqu’un qui ressemblait à un fils de l’homme; il arriva jusqu’à l’ancien des jours, et on le mit en sa présence. C’est à lui que furent données la domination, la gloire et la royauté; l’ensemble des nations, peuples et langues lui rendaient hommage. Sa domination était une domination éternelle, immuable, et sa royauté ne devait plus être détruite. (Livre de Daniel, 8, 13–14).
Maintenant que cette première difficulté est levée, voyons la suite. 
Pour bien comprendre les évangiles, il faut en comprendre un axiome fondamental: les hellénistes, c'est-à-dire, les chrétiens issus du paganisme, attribuèrent à Jésus certaines de leurs croyances issues de leur connaissance du judaïsme alexandrin: ces deux passages en sont l'exacte illustration.
Les évangiles ont le tort à notre sens d'être un midrash ésotérique, ils racontent une histoire de nature spirituelle; malheureusement, pour raconter cette histoire, ils se sont servis d'un personnage historique, Jésus, et c'est ce qui a mené à toutes les confusions de la théologie chrétienne qui prétend qu'il faut croire en Jésus. Jésus n'est qu'un homme né de la semence de son père Joseph et de la matrice de sa mère Marie; mais le concept ésotérique dissimulé dans les évangiles, le Jésus non humain, le Fils de l'Homme, lui il est fils de la Sagesse, ou Shekinah. Ce Jésus non humain ne s'est pas incarné, ou plutôt il peut se manifester en chaque homme. Ce Jésus non humain est le Fils de l'Homme du Livre d'Hénoch: une puissance spirituelle qui se manifeste à l'homme. La Sagesse peut générer une puissance spirituelle et rester vierge, mais aucune femme ne le peut; le christianisme a cru que les acteurs qui jouaient le rôle de dieux, étaient des dieux eux-mêmes et non de simples acteurs.
Le véritable Jésus, ou Fils de l'Homme se trouve à l'intérieur de chaque homme comme on peut le lire en Matthieu qui dit:
Tout cela arriva afin que s’accomplît ce que le Seigneur avait annoncé par le prophète: Voici, la vierge [l'âme] sera enceinte, elle enfantera un fils, et on lui donnera le nom d’Emmanuel (Isaïe 7, 14), ce qui signifie Dieu avec nous (Isaïe 8, 8–10).
Comme le dit Jésus dans le passage du Kérygme, c'est Dieu qui révèle le fils, c'est-à-dire, l'Emmanuel, la bonne part que Dieu a infusé en nous:
Tu es heureux, Simon, fils de Jonas; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais c’est mon Père qui est dans les cieux.
On retrouve la même idée dans les Paraboles d'Hénoch qui disent:
Et les rois et les puissants et tous ceux qui possèdent la terre loueront, béniront et exalteront celui qui règne sur tout ce qui est secret. Car devant lui est caché le Fils de l’homme, et le Très-Haut l’a gardé devant sa puissance et l’a révélé aux élus. Et la société des élus et des saints sera semée, et tous les élus se tiendront debout devant lui en ce jour. [Livre d'Hénoch, Les Paraboles d'Hénoch, 62, 6–8]
Le Fils ou puissance spirituelle cachée est bien révélée aux hommes par le Père; quand celle-ci se révèle, l'homme commence à comprendre la nature du Père qui a envoyé le Fils, c'est pour cela que les évangiles disent encore que:
Personne non plus ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler.
Il s'agit donc bien d'étapes spirituelles: d'abord, Dieu éveille en l'homme la puissance spirituelle endormie qu'il a infusé en chacun d'entre nous; et ainsi, quand elle s'éveille, elle nous révèle la vraie nature de Dieu. 
Cela montre aussi que le christianisme a bien besoin de se réformer et d'abandonner la déification de l'homme Jésus, pour réapprendre la mystique sacerdotale qu'il a probablement enseigné. En fait, la folie du christianisme est d'avoir présenté, le Fils de l'Homme comme un personnage qui est venu sur terre en Jésus, alors que le Fils de l'Homme réside en chaque homme. 

Les gens se demandent évidemment comment cette puissance spirituelle est éveillée? Son éveil ne dépend pas de notre volonté, mais de Dieu seul; néanmoins, la manière dont cela se produit est probablement la suivante: appliquer la Torah afin de se purifier, être envers Dieu comme des serviteur qui n'attendent nulle récompense, pratiquer la justice et s'opposer à l'injustice, prier afin d'attirer la bénédiction sur nous, consacrer notre nourriture afin de fortifier l'être spirituel caché, méditer sans cesse, etc. Dans le véritable christianisme, il n'est nulle part question croire en Jésus mais de trouver le Logos. L'avenir du christianisme, ce sera moins de Jésus et plus de spiritualité.

On peut enfin se demander pourquoi, le Fils est appelé «Fils»? Le Fils se réfère à Adam, appelé dans l'Évangile de Luc, «Fils de Dieu». Cette image de Dieu (en effet la Bible nous dit qu'Adam fut créé à l'image et à la ressemblance Dieu), subsiste en chaque homme et n'attend que notre obéissance aux Lois de Dieu pour émerger et se manifester.

Si l'homme historique appelé Jésus n'est pas important, alors il n'est pas mort pour nos péchés? À nouveau, le problème réside dans le mélange d'événements historiques et de concepts spirituels. En effet, quand Dieu manifeste sa puissance en l'homme, à ce moment-là, le vieil homme meurt pour que le nouveau puisse germer. De même, quand l'homme Jésus ou le vieil homme que nous portons en nous meurt, le Christ ou l'homme nouveau s'éveille comme naturellement; c'est alors que les péchés sont pardonnés.

— Stephan HOEBEECK


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