dimanche 14 février 2016

L'Évangile de Thomas, la source Q et les synoptiques: Essai de reconstitution de la Parabole du Semeur (Partie II)

Pour tenter de retrouver la forme originale de la Parabole du Semeur, examinons les quatre versions qui subsistent et qui sont contenues dans les évangiles de Thomas, de Matthieu, de Marc et de Luc.
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Quand on lit séparément ces quatre versions de la Parabole, elles semblent identiques, mais lorsqu'on les examine synoptiquement, on se rend compte rapidement des différences qui existent entre elles. Il en est de même de l'interprétation de la Parabole qui diffère entre les trois évangiles (l'Évangile de Thomas n'a pas conservé l'interprétation).



Notons que l'original est certainement en hébreu, puisque Marc au verset 19 a confondu le mot she'ar (שאר) et le mot she'er (שאר) qui en hébreu s'écrivent de la même manière; le premier signifie «reste», le second signifie «chair»; la bonne version est donc «et les désirs sur la chair» et pas «et les désirs sur le reste» comme on lit dans les traductions habituelles des évangiles. Notons encore que Luc a «les désirs de la vie», ce qui montre qu'il n'avait pas le texte hébreu en face de lui ou qu'il ne le comprenait pas, et qu'il a essayé de mettre un mot qui lui semblait avoir plus de sens que «les désirs sur le reste» qui ne veut pas dire grand chose; Luc se basait donc sur Marc ou la source de Marc. Quant à Matthieu, comme «les désirs sur le reste» ne voulait rien dire, il a préféré supprimer la phrase; il n'avait donc pas accès au texte hébreu comme Luc, ou ne le comprenait pas.

Lorsqu'on lit une connerie dans un texte ancien, on met souvent cela sur le compte de l'ignorance de nos aïeux et on se trompe en faisant cela; en effet, nos aïeux n'étaient pas des imbéciles comme on veut nous le faire croire. Autrement dit, quand on lit une connerie dans un texte, il convient de se demander si le texte n'a pas été altéré. Une des caractéristiques des écrivains des siècles passés est de plagier leurs prédécesseurs: la pratique était normale et ne posait pas de problèmes. C'est ainsi qu'ils prenaient des textes préexistants, ils les transformaient, et parfois, par leurs réécritures, écrivaient des contre sens. Tous, du moins cela nous est arrivé, nous avons déjà remanié des textes à nos ordinateurs, et à force de triturer le texte, on se rend compte, avec le temps, que nos ajouts ont embrouillé d'autres parties du texte; on corrige, on recorrige encore, mais on doit en permanence faire attention de ne pas avoir créé de nouvelles contradictions. 

La semence tombe en quatre endroits: le long d'un chemin, sur un sol dur, parmi des épines, et dans une bonne terre. Que les semences tombées le long du chemin soient foulées aux pieds ou picorées par les oiseaux, nous pouvons l'admettre; que les semences tombées dans une bonne terre donnent du fruit, nous pouvons aussi l'admettre; mais que des semences tombent sur du roc, qu'elles sont alors brûlées et séchées, après avoir subitement levée, parce qu'elles n'ont pas de racines, voici qui est pour nous plus compliqué à admettre; de même que les semences tombées parmi les épines ont été étouffées: il y a des choses qui ne vont pas avec ce texte. 
Les explications sur cette semence qui tombe sur des pierres et que tentent de donner Matthieu et Marc sont très maladroites, Thomas et Luc préfèrent garder une certaine mesure. 

Nous proposons les corrections suivantes:
  1. Remplacer les épines par les ronces, plus logique;
  2. Déplacer Thomas 3b à 3e après le première endroit où est tombé la semence;
  3. La partie relative à la semence sur le sol pierreux n'est pas sauvable pour plusieurs raisons, et le mieux est donc de la supprimer. En effet, si la semence tombe sur un sol pierreux, pourquoi lève-t-elle aussitôt? Cela n'a guère de sens, une graine doit germer en terre pour pouvoir lever; la mention qu'elle fut brûlée quand le soleil parut n'a pas plus de sens, la graine semée sur la pierre ne produira aucun fruit, la précision est donc superflue.
  4. La suppression de ce passage entraînerait comme conséquence logique de devoir supprimer le passage parallèle dans l'interprétation de la Parabole. Mais les caractéristiques de cette interprétation (Mt 13, 20–21; Mc 4, 16–17; et Lc 8, 13), avec le remaniement du passage de Thomas qui a été déplacé, permet de fusionner cette interprétation avec celle qui est donnée de la semence qui est jetée sur le chemin.
  5. Quand on lit que Satan vient et enlève la parole semée en eux, cela doit se rapporter à la parole qui est tombée dans les épines; en effet, la texte dit bien semée en eux, ce qui implique qu'elle a pris racine, au moins un peu, cet exemple ne peut concerner que la semence tombée dans les ronces, dont il dit qu'elles étouffèrent la parole.
  6. Des expressions comme de peur qu'ils ne croient et soient sauvés et avec un cœur honnête et bon, sont des expressions trop morales et propres à Luc, qui ne faisaient certainement pas partie de l'original.
  7. L'expression «parole» est étrange et est peut-être une réécriture, nous supposons que l'original avait commandements, plus logique que parole dans le contexte de la parabole; si la parabole avait été énoncée à Alexandrie vers 100, ce serait certainement logos–parole, mais en Judée en 30, ce serait nettement plus improbable, pas impossible, juste improbable quant au contexte. 
  8. Nous pensons enfin que l'original fusionnait parabole et explication.
  9. Certaines parties qui furent déplacées, le furent peut-être volontairement, mais peut-être aussi accidentellement, ainsi les compositions en poésie hébraïque sont parfois réparties sur deux colonnes: le vers 1, sur la colonne 1; et le vers 2, sur la colonne 2; les fragments hébreux du Siracide ont montré qu'il existait bien deux manières d'écrire les textes versifiés, soit sur deux colonnes, soit sur une colonne. L'utilisation de tels systèmes peut mener à des confusions et à des inversions comme cela est parfois constaté dans les manuscrits qui nous sont parvenus.
  10. Certaines parties de nos restitutions sont évidemment impossible à prouver, mais notre texte est bien plus cohérent avec la réalité de la Judée des années 30 de l'ère chrétienne, et non avec les concepts des judaïsants d'Alexandrie ou d'Antioche dans les années 130. 
  11. Dans notre reconstitution, le verset de conclusion est une hypothèse non justifiée par le texte; dans les autres endroits du texte, même si nous modifions l'ordre nous restons conforme, autant que possible, aux différentes versions du texte et à ce que nous pouvons savoir de la Judée des années 30 qui traversait une période où les Apocalypses étaient les textes les plus lus et où les perspectives eschatologiques de la fin des temps étaient la norme. En effet, et jusqu'à la destruction du second Temple, le judaïsme traverse une période ultra rigoriste, il est ainsi difficile d'imaginer que Jésus n'aurait pas suivi cette structure de pensée. La plupart des passages faisant de Jésus une sorte d'avatar de la bonté universelle sont des falsifications et ne correspondent en rien à ce que l'on sait de la Judée de cette époque. Signalons à toute fin utile, que les Juifs qui ne pratiquaient pas le sabbat étaient généralement assassinés, excepté dans les cités hellénisées comme Sephoris; mais ce qui était possible dans la capitale de la Galilée était impossible dans le reste de la Galilée, elle aussi traversée, et peut-être encore plus que la Judée, par ce courants ultra. Les campagnes de la Galilée étaient tenues d'une main de fer par les disciple de Judas le Galiléen qui commanda une insurrection en 6 afin de s'opposer au recensement qu'avaient décidé les Romains. 
  12. Enfin, rappelons que le Jésus de l'histoire était un Juif qui enseignait la Torah, il faut sans cesse en tenir compte quand on veut comprendre le vrai du faux dans les évangiles. Jésus n'a pas créé le christianisme. 

Le passage de la semence qui tombe sur le sol pierreux n'est pas original sous cette forme, en tout cas ne nous semble pas avoir fait partie de l'original de la parabole: les référence au soleil, brûlée, séchée, nous ferait plutôt penser à l'évaporation de la rosée, qu'à une semence solide; c'est d'ailleurs la reconstitution que nous tenterons. Ce passage devait probablement comporter une explication qui n'a pas été conservée. Le passage pourrait contenir alors une allusion à quelque chose de fugace, comme le royaume de Dieu qui s'aperçoit dans la contemplation spirituelle et qui disparaît dès que nous quittons cette contemplation.


Reconstitution de la Parabole et de l'explication:

Un semeur sortit pour semer des semences
il en remplit sa main et en jeta
Tomba la semence le long du chemin
Mais, foulée aux pieds ou mangée par les oiseaux 
Ne poussèrent nulle racine en bas dans la terre
Ne produisirent nul épi en haut vers le ciel
Ainsi est l'homme qui reçoit les commandements,
Mais qui manque de persistance: il succombe au moment de l'épreuve
Tomba la semence parmi les ronces,
Elles l’étouffèrent ou le ver la mangea
Ainsi est l'homme qui est pris par les soucis du siècle,
la séduction des richesses et les désirs de la chair
Alors sont étouffés les commandements et ne portent point de fruit
Le malin vient et enlève la parole semée en eux.
Tomba enfin la semence dans le bon sillon
Prit racine la semence, l’humidité la préserva 
Alors elle leva et donna du bon fruit
chaque grain en donna, un cent, un autre soixante, un autre trente 
Ainsi est l'homme qui reçoit les commandements
Il les étudie afin de bien les appliquer
Les fruits viennent alors à maturité
Et sans cesse, il s'affermit dans la Lumière



Tomba la rosée sur les pierres,
le soleil parut et elle disparut
Ainsi est... [suite impossible à reconstituer]


Comme on le voit, une lecture attentive du texte montre les erreurs de traduction et la connaissance de l'époque rédactionnelle des évangiles, montre les réécritures. Bien des chrétiens supposent à la suite de Paul que Jésus a aboli la Torah, Marcion prétendait d'ailleurs que dans la version qu'il avait de Matthieu, Jésus disait qu'il était venu abolir la Loi. Mais ce n'est pas le cas, Jésus a appliqué les prescriptions de la Torah.

Que conclure sur l'Évangile de Thomas? Ce texte contient sans l'ombre d'un doute des leçons qu'il convient d'examiner, mais il ne s'agit pas des originaux des évangiles. Les originaux ont probablement été révisés par les premiers traducteurs, d'autres vinrent après eux et en supprimèrent les éléments les plus judaïsants. 








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