jeudi 7 avril 2016

Qui est Siméon qui accueillit Jésus au Temple.

En Luc 2, 25–35, quand Jésus bébé est amené au Temple pour y être consacré (énigmatique, un qohen oui, un nazir pourquoi pas, sinon c'est peut-être une confusion avec la cérémonie du rachat; en effet, les aînés de chaque israélite devaient servir comme prêtres, mais à cause du veau d'or, le service du Temple sera réservé aux lévites et aux aaronide); il croise un certain Siméon qui prophétise à propos de l'enfant Jésus. Avant de tenter d'identifier ce Siméon, examinons le passage en question:
Et voici, il y avait à Jérusalem un homme appelé Siméon. Cet homme était juste et pieux, il attendait la consolation d’Israël, et l’Esprit Saint était sur lui. Il avait été divinement averti par le Saint-Esprit qu’il ne mourrait point avant d’avoir vu le Christ du Seigneur.  Il vint au temple, poussé par l’Esprit. Et, comme les parents apportaient le petit enfant Jésus pour accomplir à son égard ce qu’ordonnait la loi, il le reçut dans ses bras, bénit Dieu, et dit [Nunc Dimitis]: Maintenant, Seigneur, tu laisses ton serviteur S’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu ton salut, Salut que tu as préparé devant tous les peuples, Lumière pour éclairer les nations, et gloire d’Israël, ton peuple. Son père et sa mère étaient dans l’admiration des choses qu’on disait de lui. Siméon les bénit, et dit à Marie, sa mère: «Voici, cet enfant est destiné à amener la chute et le relèvement de plusieurs en Israël, et à devenir un signe qui provoquera la contradiction, et à toi-même une épée te transpercera l’âme, afin que les pensées de beaucoup de cœurs soient dévoilées.»
On a proposé plusieurs identifications de ce Shiméon:
  • Certains se demandent si ce ne serait pas le grand-prêtre Shiméon le Juste qui vivait selon certains vers –270 et selon d'autres vers –200; il aurait vu ces jours prolongés afin de pouvoir voir le messie. Nous ne croyons pas que cette théorie soit très sérieuse.
  • Le patriarche du Sanhédrin Hillel avait un aîné appelé Shiméon qui pourrait correspondre, néanmoins sa présence au Temple surprend, Shiméon ben Hillel est un sage pas un qohen.
Il a pourtant une troisième possibilité qui n'a jamais été mentionnée. En effet, écrire ce nom et pas un autre implique pour Luc que ses lecteurs savaient l'identifier raisonnablement. On en voit pas trop comment, ils auraient fait le rapprochement avec Shiméon le Juste, mort 200 ans avant ou avec Shiméon ben Hillel, surtout connu dans la littérature talmudique. Or il y a bien un Shiméon connu à cette époque, un Shiméon qui était en vie en 6 (puisque d'après Luc, Jésus nait au moment du recensement) et qui pouvait se trouver à Jérusalem et aussi au Temple; et que les lecteurs de Luc pouvaient facilement identifier. Il s'agit de Shiméon l'Essénien qui est mentionné dans la Guerre des Juifs et aussi dans les Antiquités Juives, voyons ce que Flavius Josèphe en dit:
Avant qu’Archélaüs eût été invité à se rendre à Rome, il eut le songe suivant, qu’il raconta à ses amis. Il avait vu dix épis de blé pleins de froment ; déjà arrivés chacun à pleine maturité, et il lui avait semblé que des bœufs les dévoraient. Une fois éveillé, pensant que sa vision lui présageait des choses graves, il fit venir les devins qui s’occupaient d’interpréter les songes. Comme ils différaient d’avis les uns des autres — car tous étaient loin de s’accorder. Simon, Essénien de race, après avoir demandé qu’on lui garantit sa sûreté, dit que cette vision présageait à Archélaüs un changement peu favorable dans ses affaires; en effet, les bœufs étaient signe de souffrance, puisque c’étaient des animaux assujettis à un labeur pénible; quant au changement de situation, il s’annonçait par le fait que la terre labourée par leur travail ne pouvait rester dans le même état ; les dix épis signifiaient un nombre égal d’années puisqu’il y a une moisson par année: c’était le terme fixé pour la puissance d’Archélaüs. Telle fut son interprétation de ce songe. Cinq jours après avoir vu cette vision, Archélaüs vit arriver l’autre Archélaüs envoyé en Judée par l’empereur pour le citer en justice. [Antiquités Juives, XVIII, XIII, 3.]
Siméon l'Essénien en tant qu'essénien était certainement un qohen, sa présence au Temple est donc vraisemblable, si ce n'est certaine. En effet, même si les Esséniens avaient quitté le service du Temple quand la halakah pharisienne fut appliquée à partir de –76 (la dispute porte sur les sacrifices, les Esséniens refusant les sacrifices d'animaux gravides, alors que les pharisiens les autorisaient; les esséniens estimaient aussi que les Gentils non convertis ne devaient pas apporter de sacrifices au Temple, car quoi que de bonne volonté, ces derniers pouvaient ne pas savoir que l'offrande qu'ils veulent faire est soumise à de nombreuses conditions, etc.); ils se réconcilièrent avec Hérode, comme le rappelle Flavius Josèphe à propos de l'amitié de Manaham l'Essénien et d'Hérode le Grand devenu roi. Il serait aussi raisonnable d'attribuer le traité intitulé Quelques Questions sur la Torah et retrouvé à Qumran à Manaham l'Essénien; en effet, le traité s'adresse à un roi, et Hérode était roi; de plus le traité suppose que la halakha pharisienne a été appliquée au Temple, or elle ne le sera qu'après la mort de Jannée en –76. On pourrait imaginer aussi que ce traité était destiné à Aristobule II qui sera roi de –66 à –63, mais il semble difficile d'imaginer qu'Aristobule II ne connaissait pas les préceptes esséniens dont son père fut proche; alors que pour Hérode, il était nécessaire de faire une courte présentation des décisions esséniennes sur les sacrifices; sans pour autant devoir y apporter d'amples justifications afin de ne pas obliger Hérode à consacrer trop de temps sur ces matières complexes, d'autant plus que ses nombreuses épouses requéraient toute son attention.
Il est très probable que Manaham l'Essénien doive être identifié avec Manahem qui fut le prédécesseur de Shammay comme Av Beth Din (vice-président) du Sanhédrin à l'époque d'Hillel. 

Cette identification de Siméon à Siméon l'essénien est encore confirmée par un autre point, puisqu'il dit à Marie:
Voici, cet enfant est destiné à amener la chute et le relèvement de plusieurs en Israël, et à devenir un signe qui provoquera la contradiction, et à toi-même une épée te transpercera l’âme, afin que les pensées de beaucoup de cœurs soient dévoilées.
Or ces passages ne sont pas sans rappeler, ce que nous lisons dans les Hôdayôth, aussi retrouvés à Qumran, littérature qu'un essénien est supposer connaître:
Et je fus un piège pour les pécheurs, mais la guérison pour tous ceux qui se convertissent du péché, la prudence pour les simples et le ferme penchant de tous ceux dont le cœur est troublé...  [II, 8b–9.]
Et:
Et je fus un homme de querelle pour les interpètes d’égarement [mais un homme de paix] pour tous ceux qui voient les choses vraies. Et je devins un esprit de jalousie envers tous ceux qui recherchent les choses flatteuses. [II, 14b–15.]

Cette identification de Siméon l'Essénien au Siméon qui prophétise sur Jésus était assez simple à réaliser, mais comme elle remet en question la datation ancienne des évangiles, on préfère regarder ailleurs; parce qu'alors il devient manifeste que Flavius Josèphe est une des sources des évangiles, et donc que les évangiles sont certainement très postérieurs à 120. Bien des clés sont accessibles pour identifier d'innombrables passages des évangiles, il suffit juste de comprendre que la datation précoce des évangiles, c'est-à-dire en 60–80, est impossible à soutenir. 

P.S. Précisions encore que quand Luc dit: qu’il ne mourrait point avant d’avoir vu le Christ du Seigneur, cela pourrait simplement confirmer qu'Archelaos ne lui a fait aucun mal.

— Stephan HOEBEECK

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