samedi 13 juin 2015

Le NOTRE PÈRE

Traduction
Notre Père qui êtes aux cieux, 
Que Votre Nom soit sanctifié, que Votre règne arrive, que Votre volonté soit faite, tant dans les cieux que sur la terre.
Donnez-nous dès à présent la manne qui nous fut promise.
Remettez-nous nos fautes, comme nous-même avons remis à nos débiteurs.
Et faites que nous n’entrions pas dans l’épreuve, mais délivrez-nous du mal/malin
[Car la Royauté, la Puissance et la Gloire sont à Vous dans [tous] les éons. Amen.]

Grec
Πάτερ ἡμῶν ὁ ἐν τοῖς οὐρανοῖς, 
ἁγιασθήτω τὸ ὄνομά σου·  ἐλθέτω ἡ βασιλεία σου· γενηθήτω τὸ θέλημά σου, ὡς ἐν οὐρανοῖς, καὶ ἐπὶ τῆς γῆς· 
τὸν ἄρτον ἡμῶν τὸν ἐπιούσιον δὸς ἡμῖν σήμερον· 
καὶ ἄφες ἡμῖν τὰ ὀφειλήματα ἡμῶν, ὡς καὶ ἡμεῖς ἀφήκαμεν τοῖς ὀφειλέταις ἡμῶν· 
καὶ μὴ εἰσενέγκῃς ἡμᾶς εἰς πειρασμόν, ἀλλὰ ῥῦσαι ἡμᾶς ἀπὸ τοῦ πονηροῦ. 
[Ὅτι σοῦ ἐστιν ἡ βασιλεία καὶ ἡ δύναμις καὶ ἡ δόξα εἰς τοῦς αἰῶνας. Ἀμήν.]
Translittération (en grec toutes les lettres se prononcent)

Pater èmôn o èn tois ouranois,
agiasthètô to onoma sou. èlthètô è basilèia sou. gènéthètô to thèlema sou, ôs en ouranois, kai èpi tès gès.
ton arton èmôn ton èpiousion dos èmin sèmèron.
kai aphès èmin ta opheilèmata èmôn, ôs kai èmèis aphèkamèn tois opheiletais èmôn.
kai mè eisenegkeis èmas eis peirasmon, alla rusai èmas apo tou ponèrou.
Oti sou estin è basiléia kai è dunamis kai è doxa eis tous aiônas. Amen

Analyse

Le Notre Père est la prière la plus importante des chrétiens et il en existe de nombreuses traductions. Dans l’ensemble, les traductions sont plus ou moins bonnes, sauf pour la phrase centrale qui commence par ton arton ; relevons celle de la traduction œcuménique « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » ; celle utilisée dans certaines églises orthodoxes : « Donne-nous aujourd’hui notre pain substantiel » ; et celle que propose Marc Philonenko « Donne-nous aujourd’hui notre pain du lendemain. » On oublie que si ton arton signifie bien « le pain », ce mot signifie aussi « la manne », c’est-à-dire la nourriture mystérieuse qui nourrit les Hébreux au désert et qui est décrite en Exode 16, 31 [Traduction du rabbinat français] : « La maison d’Israël donna à cette substance le nom de “manne”. Elle ressemblait à de la graine de coriandre, était blanche et avait la saveur d’un beignet au miel. » Aussi dans Nombres 11, 7–9 [idem] : « Or, la manne était comme de la graine de coriandre, et son aspect comme l’aspect du bdellium. Le peuple se dispersait pour la recueillir, puis on l’écrasait sous la meule ou on la pilait au mortier ; on la mettait cuire au pot, et l’on en faisait des gâteaux. Elle avait alors le goût d’une pâtisserie à l’huile. Lorsque la rosée descendait sur le camp, la nuit, la manne y tombait avec elle. » Nous tenterons dans les pages qui suivent de proposer une traduction alternative et d’expliquer le sens de cette phrase.
Le Notre Père nous a été transmis en quatre versions, la version de Luc en 11, 2–4, une version courte et une version longue chez Matthieu 6, 9–13, correspondant respectivement aux versions sans ou avec doxologie finale et, on l’oublie trop souvent, en Didachè ou Doctrine des Douze Apôtres 8, 2.
Nous excluons la version de Luc, ce dernier a tendance à vouloir expliquer les passages difficiles à comprendre, il remanie ou supprime l’un ou l’autre mot afin d’aider à la compréhension du texte. Malheureusement, ses changements n’améliorent pas vraiment la compréhension spirituelle, au mieux il s’agit d’améliorations littéraires. Retenons en outre qu’excepté les Épîtres aux Hébreux, de Jacques et de Jude, et dans une moindre mesure l’Évangile de Luc, le grec du Nouveau Testament est médiocre.
Nous avons opté pour le pluriel de respect en français. En grec ce pluriel n’existe pas, le respect se marquant plutôt par une révérence de ton. De plus, si l’on voulait vraiment exprimer une familiarité avec Dieu, on aurait plutôt utilisé le grec πάππας (trad. « papa »), au lieu du grec πάτερ (trad, « père, aïeul ».)
Nous nous sommes aidé de l’ouvrage de Marc Philonenko, intitulé Le Notre Père, publié aux éditions Gallimard, dont les références nous ont été précieuses, même si nos interprétations de la partie centrale diffèrent fondamentalement. Nous tenterons enfin de déterminer si Jésus a récité cette prière en hébreu, en araméen ou en grec.

Notre Père qui êtes aux cieux
Lorsque, dans l’Antiquité, nous appelions un Dieu « Père » (ou une déesse, « mère »), c’était la marque que nous avions été initiés aux mystères de ce dieu (ou de cette déesse). Le christianisme ne procède pas autrement. L’homme en appelant Dieu, Notre Père, implique qu’il se rattache au point zéro à partir duquel toutes choses se sont déployées, c’est une prière initiatique d’adoption. Le Notre implique à la fois que Dieu est le Père de toute créature et le Père de chaque partie de notre être, que cette partie soit unificatrice, noétique, spirituelle, psychique ou corporelle. On peut aussi y voir une formulation communautaire, car c’est bien les croyants qui, ensemble, revendiquaient leur attachement à Dieu, centre de toutes choses. 
Signalons que la forme du Notre Père chez Luc est plus simple, puisqu’au lieu de dire Notre Père qui êtes aux cieux, Luc dit simplement : Père ; ce qui peut signifier deux choses, soit Luc voulait établir que Jésus s’adressait à Dieu comme à son véritable père, il s’agit donc d’une modification théologique d’affirmation christique que nous ne pouvons pas suivre, soit Luc montre que le Notre Père dit dans un cadre individuel peut être légèrement différent, sous-entendant que, lui, Luc, donne la prière telle que Jésus la récitait, alors que d’autres en donneraient une version remaniée. Le qui êtes aux cieux se rapporte à la partie suivante (voir ci-dessous).

Que Votre Nom soit sanctifié, que Votre règne arrive, que Votre volonté soit faite, tant dans les cieux que sur la terre.
Nous avons corrigé οὐρανῷ, « ciel », datif singulier, en οὐρανοῖς « cieux » datif pluriel, pour deux raisons. Dans le Didaché (vers 100–140, probablement antérieur à la publication des évangiles tels que nous les connaissons), qui transmet aussi une version du Notre Père, le datif pluriel τοῖς οὐρανοῖς de la première phrase est au datif singulier τῷ οὐρανῷ ; cette utilisation de « ciel » au singulier est une faute de grec. En hébreu shamayim, qui signifie « cieux », est toujours au pluriel. Nous pensons que les copistes des premières versions, ont raisonné en Grec, et donc, ont parlé d’un ciel qui englobe tous les cieux, alors qu’en monde juif on parlera toujours d’une pluralité de cieux. Les cieux sont évidemment les mondes spirituels.
Signalons de suite, comme le fit savoir Marc Philonenko, que la première partie offre des analogies avec le Livre d’Henoch (Henoch I, en 39, 16 : Béni sois-Tu, béni soit le Nom du Seigneur pour toute éternité), et que les deux premières parties sont proches des strophes 1 et 2 du Qaddish : Que soit magnifié et sanctifié Son grand Nom dans le monde qu’Il a créé selon Sa volonté ; Et qu’il fasse régner son règne de votre vivant et de vos jours, etc.
Souvent, on se demande ce qu’est la sanctification du Nom ? Dans la théologie juive ancienne, tout ce qui existe est en rapport avec les noms de Dieu, l’homme y compris ; et l’homme peut sanctifier le nom en observant les commandements de Dieu, alors que la vie profane (qui est la véritable idolâtrie), consiste à ne pas sanctifier le Nom, c’est-à-dire, à ne pas se souvenir de la présence divine et à ne pas œuvrer à la manifester en nous et hors de nous. La sanctification du nom, le règne et la volonté doivent se faire tant dans les cieux que sur la terre, et donc, cette phrase s’applique aux trois parties. Nous devons bien comprendre que cette partie est une demande, certes le Nom de Dieu est sanctifié aux cieux, certes Dieu Règne dans les cieux, certes la volonté de Dieu est accomplie dans les cieux (c’est la raison de la phrase précédente Notre Père qui êtes aux cieux). Mais celui qui récite le Notre Père demande que ce qui s’accomplit dans les cieux, s’accomplisse aussi sur terre, c’est-à-dire en chacun de nous.
Donnez-nous dès à présent la manne qui nous fut promise.
Le Notre Père, dans l’ensemble ne pose pas de problèmes de vocabulaire, excepté le mot ἐπιούσιος. Saint Jérôme s’arrachait déjà les cheveux avec celui-ci qui, pour lui, n’était pas attesté en grec ailleurs que dans les Évangiles. Dans la Vulgate, il traduisit ce mot chez Matthieu par supersubstantialis et chez Luc par cotidianus. Dans les Écrits Apocryphes Chrétiens, volume I, page 439–440, les rédacteurs incluent un passage provenant du Commentaire sur Matthieu, I, de saint Jérôme, qui dit : « Dans l’Évangile qu’on appelle selon les Hébreux [très probablement la version hébraïque de Matthieu, aujourd’hui disparue], au lieu de pain “nécessaire pour subsister”, j’ai découvert maar, c’est-à-dire “du lendemain”, si bien que le sens serait : “Donne-nous aujourd’hui notre pain du lendemain”, autrement dit “du futur”. » Le sens de ce mot dépend avant tout de la compréhension du mot ἄρτον qui, s’il signifie « pain », signifie aussi en grec des Septante (traduction grecque de l’Ancien Testament), « la manne ». Nous traduisons donc cette phrase différemment : « τὸν ἄρτον (la manne, accusatif au sens de complément d’objet direct) ; ἡμῶν (à nous, génitif complément du nom ἄρτον) ; τὸν ἐπιούσιον (mot inconnu qui doit être rapproché de parousie qui semble proche de la signification de ἐπιούσιος : “avènement”, mais aussi, “rendre matériel”, avec une nuance de futur, notons que le mot est à l’accusatif, ce qui en grec peut signifier le complément direct, mais aussi un complément circonstanciel de lieu ou de temps, comme cela nous semble le cas ici) ; δὸς (donne) ; ἡμῖν (nous) ; σήμερον (aujourd’hui) ».
Première traduction : « Donne-nous aujourd’hui notre pain du lendemain. » Cette traduction pourrait apparaître comme un éloge de la gourmandise, et ainsi difficilement acceptable. Marc Philonenko pense que cela pourrait se rapporter au sabbat des esséniens qui préparaient leur pain du samedi le vendredi. Mais rien ne permet de supposer que le Notre Père est une prière du shabbat, au contraire, c’est une prière journalière, donc cette interprétation nous semble fausse.
Deuxième traduction : « Donne-nous aujourd’hui notre manne future ou substantiellement.
Rappelons que la « manne », désigne « les réalités ou énergies spirituelles », mais que celles-ci existent déjà autour de nous de manière subtile, à la fois impalpables et invisibles. Mais que c’est de cette réalité secrète que se fabriquera le pain de vie. 
Nous retrouvons la promesse de cette manne, comme nous pouvons le lire dans le Targum du Pseudo-Jonathan sur Exode (Traduction Philonenko, page 128) : « Le pain/la manne qui a été mis(e) en réserve pour vous dès l’origine dans les cieux d’en haut et que Yahvé vous donne maintenant à manger. »
Les deux traductions possibles sont donc, Donnez-nous dès à présent, la manne qui nous est promise ; ou : Dès à présent, donnez-nous  substantiellement/matériellement notre manne. Il est enfin possible, voire probable que ces deux sens se complètent, la manne étant à la fois promise et si nous voulons la recevoir dans cette vie-ci et non après notre mort, nous devrons la recevoir matériellement ou substantiellement.
Remettez-nous nos fautes, comme nous-même avons remis à nos débiteurs.
D’après Marc Philonenko, l’araméen chôbâh a le double sens de dette (dans Matthieu par ὀφειλήματα) et de péché (dans Luc par ἁμαρτίας). Quant à ἄφες, il a le sens de remettre comme de délier, autrement dit Déliez-nous de nos dettes ou remettez-nous de nos dettes. Nous sommes liés par nos dettes, comme notre âme est liée par notre corps, qui l’emprisonne.
L’homme ne peut revendiquer la liberté pour lui-même et, en même temps, emprisonner les autres. Cette vision nous semble devoir être mise en parallèle avec un passage du Siracide, (28, 2), en grec : ἄφες ἀδίκημα τῷ πλησίον σου καὶ τότε δεηθέντος σου αἱ ἁμαρτίαι σου λυθήσονται, et qui signifie : « Remets la faute à ton prochain, et alors, à ta prière, tes péchés seront déliés. » Le Notre Père est en quelque sorte l’application concrète de ce passage du Siracide. 
Dans la seconde partie, on a évidemment l’impression que notre pardon dépend du pardon que nous accorderions aux autres. Même si cette idée est correcte, ce n’est pas le sens de la seconde phrase, qui est pour nous une simple métaphore pour désigner le « Royaume de Dieu ». Pour les juifs, la remise des dettes correspond au grand jubilé, qui se produisait chaque 50 ans. C’est l’année pendant laquelle, il fallait effacer les dettes de nos débiteurs ; mais le grand Jubilé désigne évidemment le Royaume de Dieu ou les temps messianiques eux-mêmes. Ces 50 ans sont en effet une allusion au messie : dans le judaïsme on reconnaît 48 prophètes qui sont déjà venus, le 49e prophète est celui qui désignera le messie, et le 50e prophète est le messie lui-même qui se révélera avec son royaume caché à ce moment-là. Le sens intraduisible de la phrase nous semble être : « Déliez-nous de nos péchés, afin que nous entrions dans le royaume de Dieu ou pour que renaisse notre corps spirituel. »
Et faites que nous n’entrions pas dans l’épreuve, mais délivrez-nous du mal/malin
La libération de l’ego est une opération douloureuse, gardons-le en mémoire. La première phrase rappelle un psaume syriaque de David, que cite Marc Philonenko : « Ne me fais pas entrer dans des épreuves trop dures pour moi. »
Mais délivrez-nous du mal/malin. Le grec πονηροῦ peut se traduire tant par mal que par malin. Le mal est plus abstrait, le malin peut désigner une entité qui serait hostile à l’homme. Nous pensons que les textes se référant au Malin sont des textes basiques, car il est plus facile pour les gens d’admettre que le mal qu’ils subissent est le résultat d’une volonté hostile que la conséquence de l’ordre naturel établi par Dieu. En réalité, on comprend rarement la notion de chute. La chute, c’est lorsque l’homme s’est coupé des réalités spirituelles que son sens spirituel s’est atrophié. Ce n’est pas Dieu qui ne nous parle pas, c’est nous qui nous sommes bouché les oreilles. L’ange du mal dans le judaïsme, c’est Samael, dont le sens d’aveugler Dieu, mais ce n’est pas Dieu qui est aveuglé c’est nous qui sommes aveuglés.
Le sens des deux phrases est une demande à la fois de hâter la délivrance et de faire cesser notre aveuglement. Curieusement, le commencement et la fin du Notre Père offrent une convergence profonde. Ainsi, dans l’Évangile de Jean, on nous rappelle que nous avons pour père le diable. Or la prière débute par l’invocation à notre Père céleste et termine par la délivrance du Malin, notre père terrestre en quelque sorte. C’est par lui que l’homme est assujetti aux forces aveugles de la nature et l’ego ; et c’est bien d’eux que nous devons être délivrés par notre père céleste.
Car la Royauté, la Puissance et la Gloire sont à Vous dans [tous] les éons. Amen.
Cette partie finale est rejetée par plusieurs, car elle n’est attestée que par quelques manuscrits anciens. Mais nous croyons, au contraire, qu’elle forme une très bonne conclusion, car elle rappelle que tout appartient à Dieu.
Notons que le mot αἰών, αἰῶνα, s’il a originellement le sens de « vie » ou d’« être », possède des significations multiples à la fois temporelles « des éternités » et cosmiques « des mondes », nous avons donc traduit par dans les éons. Nous avons ajouté le mot tout, parce que c’est bien dans la totalité des mondes et des ères que Dieu doit se manifester.



Le sens du Notre Père consiste d’abord à se référer à notre Père céleste afin de rattacher notre monde et les créatures qui y vivent aux mondes divins, ensuite nous lui demandons de recevoir la manne ou l’énergie spirituelle le plus rapidement possible ; nous savons que la réception de ces énergies bousculera notre être et que cela ne sera pas de tout repos, un temps d’épreuve, et nous demandons qu’il ne soit pas trop long, ni trop écrasant.
Le Notre Père, loin d’être une simple prière, est une prière demandant les accomplissements spirituels, la régénération.
Une dernière question, en quelle langue faut-il réciter le Notre Père ? Pour nous la réponse ne fait aucun doute : en grec, dans sa langue originale ; mais en le récitant, nous devons avoir le sens de chaque phrase dans notre esprit. 


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