lundi 8 juin 2015

Qui furent les nazaréens?


Le mot désigne aujourd’hui le nom musulman des chrétiens. Nous ne nous intéresserons pas à cette évolution tardive du mot, mais tenterons d’en retrouver le sens original.

L’orthographe hébraïque du mot «nazaréen» ne nous est pas connue en hébreu du Ier siècle, mais seulement en hébreu talmudique, bien postérieur. D’après Épiphanes, le mot servait à qualifier des disciples de Jean le Baptiste et d’el-qasaï qui ne croyaient pas en Jésus. Pour le Talmud, par contre, nazaréens désigne les chrétiens.

Trois mots hébreux peuvent être à l’origine de ce terme:
  • soit de l’hébreu nazîr (נזיר) qui signifie «séparé», «consacré par des vœux», «abstinent», ce mot désigne des sortes de moines juifs, qui s'abstiennent de boire des boissons alcoolisées et d'avoir des rapports sexuels; 
  • soit de l’hébreu nètzèr (נצר) qui signifie «rejeton»;
  • soit de l’hébreu notzer (נצר) qui signifie «gardien», «sentinelle» ou encore «fidèle». 
L’idée que ce mot désignerait un habitant de Nazareth est absurde, un natzarethien… oui mais pas nazaréen. Notons la faute de Matthieu (2,23) qui écrit:
Et [il] vint demeurer dans une ville appelée Nazareth, afin que s’accomplît ce qui avait été annoncé par les prophètes: «Il sera appelé Nazaréen.» 
La citation Il sera appelé Nazaréen ne correspond exactement à aucun texte connu mais pourrait se rapporter à Juges 13, 5 et 7, qui parle de Samson comme d'un nazîr, car il sera consacré à Dieu dès sa conception.

Moines, rejetons ou gardiens?
De nombreux esséniens ayant pris des vœux monacaux ou de naziréat, l'hypothèse la plus vraisemblable serait de voir dans les nazaréens des moines juifs... Ce n'est néanmoins pas ce que nous pensons, puisque l'hébreu emploie n-tz(tzadê)-r et plutôt que n-z(zayin)-r.
Il reste donc «rejeton» ou «gardien», voire les deux avec une double signification induite au mot.
«Rejeton», pourrait désigner ceux qui suivent le rejeton, c'est-à-savoir, Jésus, le descendant du roi David (nous n'y croyons pas mais nous le signalons) (Isaïe 11, 1):
Or, un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton (netzer) poussera de ses racines.
Mais nous ne pensons pas que cela fasse allusion à cela.

Nous constatons que ceux qui prirent officiellement le titre de nazaréen sont les disciples d'el_qasaï, un baptiste révolutionnaire anti-romain, qui fut tué pendant la guerre de Kitos (115–118) dont les survivants se réfugièrent à Petra et en Mésopotamie.
Nous pensons qu'une des clés se trouve dans l'Épître aux Romains (11, 17–24), nous soulignons les passages importants:
De ces branches, quelques-unes ont été coupées [peut-être une allusion aux morts des guerres juives ou aux pharisiens, considérés comme quasi non-juifs par les esséniens], alors que toi, olivier sauvage, tu as été greffé parmi les branches, et tu as part désormais à la sève que donne la racine de l’olivier. Alors, ne sois pas plein d’orgueil envers les branches ; malgré tout ton orgueil, ce n’est pas toi qui portes la racine, c’est la racine qui te porte. Tu vas me dire : « Des branches ont été coupées pour que moi, je sois greffé ! » Fort bien ! Mais c’est à cause de leur manque de foi qu’elles ont été coupées ; tandis que toi, c’est par la foi que tu tiens bon. Ne fais pas le fanfaron, sois plutôt dans la crainte. Car si Dieu n’a pas épargné les branches d’origine, il ne t’épargnera pas non plus. Observe donc la bonté et la rigueur de Dieu : rigueur pour ceux qui sont tombés, et bonté de Dieu pour toi, si tu demeures dans cette bonté ; autrement, toi aussi tu seras retranché. Quant à eux, s’ils ne demeurent pas dans leur manque de foi, ils seront greffés car Dieu est capable de leur redonner leur place en les greffant. En effet, toi qui étais par ton origine une branche d’olivier sauvage, tu as été greffé, malgré ton origine, sur un olivier cultivé ; à plus forte raison ceux-ci, qui sont d’origine, seront greffés sur leur propre olivier.
Nous nous demandons si ce n'est pas à des convertis que fait allusion le mot «rejeton» (sous-entendu «des autres nations») qui viennent s'ajouter aux fils d'Israël. Les nazaréens dans ce sens sont bien des convertis. Notons encore que l'on considère les nazaréens disciples d'el-qasaï comme des non-juifs convertis... Ces convertis combattirent aussi aux côtés des communautés juives pendant leurs révoltes, ils seraient alors aussi des «sentinelles» d'Israël.
Notons que le mot gèr qui désigne les prosélytes ou convertis au judaïsme dans le pharisianisme ou rabbinisme semble plutôt avoir, dans les textes esséniens, son sens original d'étranger-résident en terre judéenne. 

Conclusion
Le sens originel du mot nazaréen est perdu. Néanmoins supposer que les nazaréens furent des convertis ou rejetons (nètzerîm) des autres nations qui agissaient envers Israël comme des sentinelles (notzerîm) est la moins mauvaise solution. Le mot nazaréen pourrait avoir été originellement utilisé pour désigner des convertis au sein des communautés esséniennes tardives (Jean le Baptiste)

Les tensions qui apparurent progressivement entre nazaréens et Juifs proviennent du judaïsme esséno-sadducéen que pratiquaient les nazaréens et qu'à cause de cela ils ne se reconnaissaient pas dans le judaïsme pharisien des rabbins, ils refusaient la tradition orale, par exemple. 

Au sein de ces groupes de convertis postérieurs à Jean le Baptiste, une scission se fit jour entre ceux qui, avec Flavius Josèphe, acceptèrent de vivre en paix avec l'Empire romain et ceux qui estimaient, avec el-qasaï qu'il fallait continuer la guerre contre Rome afin de délivrer Jérusalem et de rebâtir le Temple. Ceux qui se soumirent à Rome devinrent progressivement les chrétiens, ceux qui voulaient continuer la lutte contre Rome devinrent progressivement les mandéens, puis par évolution, les musulmans.

Les aspects historiques des nazaréens permettent de nuancer deux visions: le pacifisme chrétien et le djihadisme musulman.

Le pacifisme chrétien provient de la vie de Jésus-Bannous composée par Flavius Josèphe dans laquelle il présente son maître comme un pacifique essénien et non le redoutable chef sicaire qu'il fut... Flavius Josèphe a tenté de faire passer les plus ultras des révolutionnaires Juifs (les sicaires) pour des extrémistes pharisiens, or les textes que l'on a retrouvé à Massada, la citadelle sicaire dont les défenseurs finirent par faire un suicide collectif en 74, ne sont pas pharisiens et laïcs, ils sont esséniens et sacerdotaux. Ils sont les successeurs de hassidéens qui suivirent Judas Macchabée, dont tous les dirigeants étaient des qohanim
Flavius Josèphe estimait qu'une conversion d'un flavien au Judaïsme était la meilleure garantie pour que le Temple soit reconstruit. Il dut concentrer ses efforts à amener Titus, Domitien ou Flavius Clemens au judaïsme, mais ce fut un échec, peut-être, à cause des rivalités entre esséno-sadducéens (Flavius Josèphe) et pharisiens (sanhédrin de Yavneh).
Bref le pacifisme chrétien signifie simplement «ne pas se révolter contre Rome».

El_Qasaï, «Force cachée» (à moins qu'il ne faille voir en son nom une déformation du nom grec Alcios: el_qasaï fut un converti) estimait, au contraire de Flavius Josèphe, qu'il n'y avait rien de bon à attendre des Romains, et qu'ils devaient continuer à faire la guerre sainte contre Rome afin d'amener la reconstruction du Temple et la reconstitution d'un royaume judéen indépendant. Cette idée de guerre sainte sera reprise par l'Islam qui en déformera la nature: d'une guerre sainte contre les Romains pour la libération de Jérusalem, elle deviendra une guerre contre les Juifs, les chrétiens et les païens... 

Les chrétiens et les musulmans se méprennent les uns et les autres sur les significations réelles du pacifisme pour les premiers et de la guerre sainte pour les seconds... 




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