vendredi 24 juillet 2015

Sur la manière exacte de traduire le premier verset de l'Évangile de Jean


Le premier verset de l'Évangile de Jean est un des plus important du Nouveau Testament. Il ne présente pas de grandes complexités dans sa traduction, cela ne l'empêche pas d'être systématiquement mal traduit dans les traductions, excepté la Vulgate latine.

Texte
Ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος, καὶ ὁ λόγος ἦν πρὸς τὸν θεόν, καὶ θεὸς ἦν ὁ λόγος.
En translittération (e = η)
Èn arkei en o logos, kai o logos en pros ton thèon, kai thèos en o logos.
Le texte est composé de trois segments de phrases
  • Le premier, Èn arkei en o logos, ne pose pas de problèmes particuliers et signifie Au commencement était le Logos. Notons juste que Èn arkei sont aussi les deux premiers mots de la Genèse dans la traduction des Septante. 
  • Le second, kai o logos en pros ton thèon, ne pose pas non plus de problèmes et signifie et le Logos était auprès de Dieu
  • Le troisième et dernier passage est problématique non pas au niveau du grec mais au niveau des traductions. Ainsi, le passage kai thèos en o logos est systématiquement mal rendu, les traducteurs, profitant de ce que le sujet et l'attribut du sujet avec être sont tous deux aux nominatifs, s'obstinent à faire de thèos l'attribut du sujet et de o logos le sujet; or en grec il n'y a aucun doute à avoir le sujet c'est le premier mot, donc thèos et l'attribut du sujet, c'est o logos. Les traductions habituelles de cette ultime partie du verset ont donc et le Logos ou la parole était Dieu ou un dieu, alors que la seule traduction possible, c'est et Dieu était le Logos
La traduction complète du verset est donc:
Au commencement était le Logos, et le Logos était auprès de Dieu, et Dieu était le Logos.
On peut assez légitimement se demander, les raisons qui poussent à mal traduire.
En premier, la phrase paraît incohérente, comment le Logos fait-il pour être auprès de Dieu et en même temps Dieu serait le Logos?
Notre première idée fut de rejeter la partie finale comme étant une interpolation, c'est d'ailleurs l'avis de l'abbé Boismard que j'avais suivi. Mais aujourd'hui, je reviens quelque peu sur cette évaluation. 
Mais alors comment la comprendre?
Je pense en premier que ceux qui traduisent Et le Logos était Dieu, éludent les influences philoniennes sur cette phrase, auxquelles ils sont bien obligés de consentir quant on lit la phrase ainsi et Dieu était le Logos.
Philon d'Alexandrie fut un philosophe juif de la première moitié du premier siècle. Confronté aux attaques philosophiques contre le judaïsme, il affronta les philosophes païens sur leur propre terrain, celui de la question du Logos. Les stoïciens, comme je l'ai dit ailleurs prétextaient des anthropomorphisme de la Bible pour nier la révélation biblique. En effet, Dieu dans la philosophie stoïcienne est un dieu qui ne fait rien, ce qui agit ce sont les logoï qui correspondent aux dieux du paganisme et qui agissent à sa place. Philon a donc défendu l'idée que l'activité de Dieu dans la Bible, autant que les déplacements de Dieu... ne sont pas faits par Dieu lui-même, mais par le Logos de Dieu. Le Logos correspondant alors à l'activité divine, Philon usera de multiples qualificatifs pour en parler, il dira que le Logos est le Fils de Dieu, il dira que le Logos est le deutéro Dieu ou Deuxième Dieu, il en parlera aussi comme étant un archange, en réalité l'unique archange. Mais en réalité, chez Philon, le Logos est l'activité de Dieu.
Revenons au verset 1, 1 de l'Évangile de Jean, l'auteur a subi manifestement l'influence de Philon d'Alexandrie. Les traductions de Logos par parole ou dire que la parole était Dieu, sont de simples édulcorations pour éviter de répondre à une question simple: les rédacteurs du Nouveau Testament étaient-ils de pauvres juifs illettrés ou des juifs hellénisés, et surtout quand ont-ils vécu?
S'il est exact que dans la traduction grecque des Septante, l'hébreu davar, «parole» est traduit par logos, cela ne signifie pas que dans l'Évangile de Jean, et particulièrement dans le verset 1, on puisse pour autant le traduire par «parole». Cette habitude de traduire Logos par parole vise simplement à éluder les sources philosophiques judéo-hellénistiques de cet évangile.
Un ami nous a rappelé que Saint Jérôme traduit, et Deus erat verbum, que l'on peut difficilement traduire autrement que par Et Dieu était le Verbe.

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