lundi 4 avril 2016

Jésus a-t-il été un sioniste révolutionnaire?

Mais non il annonçait le royaume des cieux... et il disait que son royaume n'était pas de ce monde. De plus la Judée est une province romaine, autrement dit reconstituer le royaume de Judée implique une activité révolutionnaire anti-romaine, et sa révolution consistait à tendre l'autre joue, et d'autres choses semblables. Et de tels propos nous montrent avec certitude que Jésus fut pacifiste et qu'il ne nourrissait pas de sentiments anti-romains. 

Certes, ceci est la version officielle, et pour la contredire, il faudrait trouver un élément dans cette même version officielle qui montrerait que les évangiles ont été réécrits en vue de faire passer Jésus pour un pacifiste

De tels éléments sont évidemment rares car les censeurs évangéliques ont bien fait leur travail; néanmoins,  certains passages jettent le trouble. Dans un autre article nous avons montré que certains passages des évangiles font allusion à un Jésus descendant d'Aaron et pas de David; et que les noms de la généalogie de Luc suggèrent une origine hasmonéenne, donc royale et sacerdotale, de Jésus. La généalogie de Jésus chez Luc est la suivante: Jésus est fils de Joseph d'Ele de Matthan de Lévi de Melki de Yannay. Autrement dit Jésus est fils de Joseph Ele[m] (le Fort ou le Silencieux) qui fut grand-prêtre et qui dut fuir la colère d'Hérode pour s'être opposé à lui, et qui s'est réfugié à Sephoris quelques années (à 15km de Nazareth), lui-même fils de Mathathias qui fut grand-prêtre entre –6 et –4; lui-même fils de Lévi (impossible à identifier), lui-même fils du roi (melki=malak) Jannée (Alexandre Yannay)...  L'existence de descendants du roi David en ligne directe est incertaine à cette époque, et la famille prestigieuse entre toutes, ce sont les hasmonéens, une famille sacerdotale qui a dirigé et gagné la révolte contre les séleucides (de –167 à –152) avec Judas Macchabée. 

En Matthieu 11, 12, nous lisons:
Depuis le temps de Jean Baptiste jusqu’à présent, le royaume des cieux est forcé, et ce sont les violents qui s’en s’emparent. 
Et en Luc 16, 16, nous lisons:
La loi et les prophètes ont subsisté jusqu’à Jean; depuis lors, le royaume de Dieu est annoncé, et chacun use de violence pour y entrer.
Remarquons en premier que Matthieu a royaume des cieux et que Luc a royaume de Dieu. Dans l'Évangile de Thomas, il y a 3 fois royaume des cieux, 4 fois royaume du Père et 17 fois royaume tout seul. Au lieu de supposer que Matthieu aurait raison contre Luc ou que Luc aurait raison contre Matthieu, il serait infiniment plus simple de supposer que les deux ont tort, et que les originaux avaient «royaume». L'utilisation du mot royaume devait manquer de pacifisme, les évangélistes auront donc atténué le mot l'un en ajoutant des cieux et l'autre en ajoutant de Dieu; il s'agissait de montrer que Jésus était pacifique.

Ces deux versets comportent une autre anomalie qui n'a jamais été relevée! Notons d'abord que Matthieu a Jean le Baptiste, mais que Luc a simplement Jean sans d'autres précisions. 
Or, au moment où Jésus dit cette parole, Jean le Baptiste n'a été exécuté que depuis quelques semaines, COMMENT IMAGINER QU'EN QUELQUES SEMAINES LA SITUATION AURAIT ÉVOLUÉ ET QUE JUSQU'À JEAN LES PROPHÈTES ONT SUBSISTÉ ET QU'ENSUITE LE ROYAUME DES CIEUX AURAIT ÉTÉ FORCÉ PAR QUI ET PAR QUOI?
Cette interprétation montre que le Jean en question n'est certainement pas Jean le Baptiste, un seul autre Jean pourrait correspondre, c'est Jean Hyrcan. Jean Hyrcan fut grand-prêtre et prince du peuple d'Israël de –134 à –104. Son fils Judah Aristobule prendra le titre de roi et mourra rapidement et c'est un autre fils de Jean Hyrcan qui lui succèdera, c'est le roi et grand-prêtre Alexandre Jannée (de –103 à –76). On sait par Flavius Josèphe que Jean Hyrcan était un prophète et qu'il fut le seul depuis Moïse à unifier prophétie, royauté et grande-prêtrise. Il serait néanmoins infiniment plus simple de supposer que Jean est une erreur pour Yannay. Quand Jannée lui succède, il devra rapidement affronter une révolte, sévèrement réprimée; à sa mort, en –76, c'est sa veuve Salomé Alexandra qui devient reine, et ensuite, c'est son fils Hyrcan II qui lui succède, rapidement remplacé par son autre fils Aristobule II, ensuite viennent les Romains, et la Judée devient romaine en –63, 13 ans après la mort de Yannay.

Si on accepte notre hypothèse que Jésus appartenait au courant hassidéen, la phrase devient très simple (nous combinons Matthieu et Luc): 
La Loi et les prophètes ont subsisté jusqu'à Alexandre Jannée; après sa mort et jusqu'à présent, le royaume (de Judée) a été forcé et ce sont les violents (les Romains) qui s'en sont emparés, mais sa restauration est proche (annoncée).
Comme on le voit, le royaume de Jésus est bien de ce monde, et ce royaume c'est la Judée, dont il est un héritier parfaitement légitime: Jésus est donc bien sioniste et révolutionnaire.

Comment en est-on arrivé d'un Jésus révolutionnaire à un Jésus pacifiste? Ce n'est pas très compliqué, les chrétiens appartiennent à cette aile révolutionnaire et ils ont lutté aux côtés des Juifs pendant la Première Guerre judéo-romaine (66–70) et pendant la Révolte des Communautés (115–118); mais ils vont se lasser et développeront une explication alternative: le royaume messianique est spirituel, et donc ils refuseront de soutenir Shiméon bar Kokheba dans une nouvelle guerre contre Rome. Ils finiront par tenter un compromis avec Hadrien en pacifiant leurs textes: c'est cette version édulcorée qui deviendra les évangiles. 

Il est donc très probable que Jésus fut exécuté non pour s'être prétendu «Fils de Dieu», mais bien pour ses activités visant à rétablir un royaume de Judée indépendant du pouvoir romain. Les évangiles mentionnent sommairement que Jésus aurait chassé les marchands du Temple, or cet épisode a bien une base réelle, puisque Qaïphe a bien ordonné que le marché des viandes traditionnellement sur le Mont des Oliviers, en face du Temple, soit transféré dans l'enceinte même du Temple. Il n'est pas possible qu'un homme seul ait fait une telle action et en un seul jour, par contre un Jésus descendant de grands-prêtres et héritier même par les femmes, du sang hasmonéen, avait de grandes chances d'être soutenu par le bas-clergé souvent très pauvre, très conservateur et hostile aux Romains (c'est eux qui commenceront la révolte contre Rome en 66). 
On nous dira que le sanhédrin a obligé Qaïphe a reculé; or, Qaïphe était soutenu par le pouvoir Romain, et dans la mesure où c'est Jésus qui fut exécuté et non les membres du sanhédrin, c'est plus probablement lui qui a mené cette action révolutionnaire.

Il est probable que Qaïphe devant la révolte des qohens devra renoncer à sa mainmise sur le marché des viandes, mais qu'il obtiendra des Romains l'exécution de Jésus au motif de son activité insurrectionnelle au Temple et de ses origines hasmonéennes qui le rendaient extrêmement redoutable.

La grande différence entre pharisiens et hassidéens (sadducéens) se situent sur de nombreux plans, mais là ou l'opposition était frontale c'était sur les conversions, alors que Jean Hyrcan convertissait à tour de bras, les pharisiens étaient plus frileux sur cette question des conversions. Il est probable que Jésus fut lui aussi quelqu'un qui convertissait de nombreux non-juifs, raison pour laquelle ces derniers deviendront majoritaires dans son mouvement et lui donneront une autre perspective: le christianisme pacifiste et soumis à Rome.

Non le Jésus historique n'était ni pacifiste ni palestinien; c'était un Juif révolutionnaire qui luttait pour l'indépendance de sa patrie, il s'apparente pleinement à ce qu'aujourd'hui on appelle «sionisme».

— Stephan HOEBEECK


1 commentaire:

  1. Bravo pour les maints détails.
    Je suis tout à fait d'accord, je pense que Jésus faisait d'abord de la politique avant de faire de la religion, mais chez les juifs, comme dans l'Islam ou le Bouddhiste, religion et politique sont une seule et même branche, une forme de théocratie.
    Très bon article auquel j'adhère totalement

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